La Fausta
sous les tenailles du bourreau. J’ai jeté la dernière pelletée sur son cadavre de bête fauve ! Et j’ai tué son ami, le petit Valois. Et ce soir, son amie, la petite Violetta, me versera du vin et de l’amour ! Ah ! qu’en dis-tu, Pardaillan ?
Pardaillan souriait. Mais Maurevert ne remarqua pas qu’il s’était appuyé du dos au mur pour ne pas tomber.
Pardaillan souriait. Maurevert, dans l’obscurité, ne remarqua pas que les veines de son front se gonflaient, comme si l’afflux de sang allait faire éclater le crâne du prisonnier…
Pardaillan souriait… Il continuait à regarder la chauve-souris qui voletait de-ci de-là dans le cachot.
— La voilà partie ! dit-il tout à coup d’une voix si paisible que Maurevert, écumant, grinçant, se laboura le visage à coups d’ongles.
— Oh ! démon !… Je t’arracherai bien une plainte ! Une seule ! Pour que je puisse me repaître du souvenir de cette plainte jusqu’à la fin de ma vie !…
La chauve-souris était sortie du cachot. Pardaillan murmura :
— C’est curieux comme j’ai sommeil… Dormons donc en ce cas !
Il s’allongea sur le sol, posa sa tête sur son bras replié, et ferma les yeux. Si Maurevert avait pu voir l’effroyable souffrance qui déchirait cet homme, il fût devenu fou de joie. Mais ayant dirigé le jet de lumière sur lui, Maurevert vit qu’il dormait paisiblement, la poitrine soulevée par un souffle rythmique, les lèvres souriantes… Et Maurevert gronda une imprécation furieuse et hurla :
— Ton dernier sommeil ! Dors ton dernier sommeil ! Moi, je vais voir M. de Guise, et ensemble nous reviendrons, accompagnant le tourmenteur… Dors bien, Pardaillan !… Mais tu n’en entendras pas moins tout ce que je voulais dire !… Violetta, et d’une !… Charles d’Angoulême et de deux !… Bon, mais on m’a assuré que tu avais deux amis encore. Deux amis ? Tu vas savoir ce que j’en ai fait : Claude et Farnèse sont aux mains d’une femme que tu connais : la toute-puissante Fausta. Ils sont condamnés à mourir de faim ! Comprends-tu ?…, Au fond du palais de la Cité, tes deux derniers amis meurent de faim !… Qu’en dis-tu ?… Claude, ça fait trois ! Farnèse, ça fait quatre !… Tiens, Pardaillan, parmi toute la souffrance que je te verse, je vais te donner une joie ; j’ai beau chercher, je ne trouve pas qui peut être encore ton ami pour le tuer !… J’enrage, Pardaillan, de savoir qu’il y a peut-être encore sous le ciel des gens que tu aimes et que je ne connais pas… Mais enfin, quatre désespoirs pour accompagner ton désespoir ! je m’en contente !… Violetta, Charles, Claude, Farnèse : cela fait quatre ! Quatre qui souffrent et vont mourir d’une façon ou d’une autre, uniquement parce qu’ils étaient tes amis ! Au revoir, Pardaillan, à bientôt !
Pardaillan ne bougea pas. Il continuait à dormir…
— Au revoir, te dis-je ! A demain, ou peut-être à après-demain, car je te laisserai peut-être un jour ou deux à croupir dans ton désespoir avant de t’achever… Allons, dors bien… moi aussi, je vais me coucher… la blonde Violetta m’attend, la chambre est parfumée… dans le mystère de l’alcôve, la petite bohémienne attend son époux… A bientôt, Pardaillan !…
Il sortit à reculons, les yeux fixés sur le prisonnier, espérant encore surprendre un tressaillement, une plainte, une larme… Paisible et souriant, Pardaillan dormait.
Alors Maurevert mâcha une insulte, tendit le poing et, étant sortit referma la porte lui-même. Lui-même poussa les verrous. Il écouta à la porte, et il n’entendit rien… Alors, il remonta précipitamment l’escalier, suivi par le geôlier et les quatre arquebusiers, grondant de sourdes imprécations, et essuyant la sueur de rage qui inondait son front… Quelques minutes plus tard, il entrait dans l’appartement de Bussi-Leclerc.
— Oh ! oh ! s’écria le gouverneur, par les cornes de Satan, d’où sors-tu donc pour être ainsi livide comme un mort ?…
— De l’enfer ! répondit Maurevert en se laissant tomber sur une chaise.
— Je comprends, ricana Bussi-Leclerc, le damné Pardaillan t’a injurié comme il a fait pour moi, hein ?… Il a dû t’en raconter… Car il a la langue bien pendue, le sacripant ! Que t’a-t-il dit, voyons ?
— Rien ! dit Maurevert en se versant un verre d’une bouteille que le gouverneur était en train de vider.
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