La Fausta
leçon !…
— Eh ! payez-moi, en ce cas ! dit Pardaillan. Tenez, je vais vous dire ; votre bras ne doit pas trembler comme il tremble ; le poignet seul doit agir… vous ne comprenez pas ? Non ! Il ne comprend pas ! C’est à déshonorer un tripot d’armes !
Leclerc rengaina son épée. Il était livide de rage. Et soudain, il tendit le poing vers Pardaillan, grommela un juron, fit deux, appels du pied comme s’il eût répondu à une provocation, et sortit du trou noir, du cachot, de l’antre effroyable, poursuivi par le rire féroce et ces derniers mots de Pardaillan :
— Allez trouver maître Ambroise de ma part ; il vous enseignera à tenir proprement votre épée.
Maître Ambroise était un mauvais prévôt aussi célèbre par ses défaites que Bussi-Leclerc l’était par ses victoires.
— Le démon est enragé ! gronda Leclerc en se bouchant les deux oreilles.
Il eût pleuré. Son amour-propre saignait à vif. Il fit un geste pour ordonner aux arquebusiers d’attendre Maurevert et remonta l’escalier quatre à quatre.
— Or çà ! dit alors Maurevert, tandis que tu vis encore, sire de Pardaillan, tandis que le tourmenteur-juré apprête ses coins, ses pinces et ses tenailles, écoute-moi. Je ne suis pas Bussi-Leclerc, moi, et j’avoue que j’ai eu peur de toi… Maintenant que te voilà enchaîné, je n’ai plus peur, tu comprends ?… L’homme qui est devant toi s’appelle Maurevert… comprends-tu cela ?… ce Maurevert qui porte à la figure la trace du coup de rapière dont tu la cinglas !… Maurevert qui porte l’un des derniers coups dont mourut ton truand de père !… Maurevert qui fournit là-haut, sur les pentes de Montmartre, ce joli petit coup de poignard, cette égratignure dont mourut la demoiselle Loïse de Montmorency, ta maîtresse !…
Le misérable étudiait attentivement l’effet de ces paroles. Il avait d’ailleurs mesuré du regard la longueur des chaînes et il était sûr que Pardaillan ne pouvait l’atteindre.
Sur la physionomie étrangement paisible du chevalier, il ne vit aucun frémissement. Pardaillan ne le regardait pas. Seulement, il avait mis sa main droite dans son pourpoint. Et au souvenir de son père mort entre ses bras criblé de blessures, au souvenir de celle qui était l’adoration fidèle de sa vie, cette main s’était crispée ; les ongles labouraient la poitrine ; la clameur de détresse qui grondait dans cette poitrine ne s’échappa pas.
Pardaillan souffrit comme un damné… Mais son visage, dont on ne pouvait distinguer la pâleur, garda la même immobilité, et au coin des lèvres, sous la moustache hérissée, tremblante, le même pli d’ironie.
« Enfer ! gronda en lui-même Maurevert plus livide, est-ce qu’il ne souffrirait plus du passé ?… »
— Tu m’as bien cherché, reprit-il tout haut. Voilà des années et des années que tu cours après moi. Voilà des années que je passe, moi, à te fuir… A la fin, je me suis demandé ce que tu pouvais bien avoir à me dire… et je me suis arrangé pour nous ménager ce rendez-vous… Voyons, je suis prêt à t’entendre. Qu’as-tu à me dire ?…
Pardaillan suivait des yeux le vol affolé d’une chauve-souris qui, étant entrée dans le cachot, s’irritait sans doute de cette lumière du falot, et tournoyait dans l’étroit espace, se heurtant aux murs, allant, venant, obstinée, silencieuse…
— Voyons si elle trouvera moyen de sortir, murmura le chevalier.
Maurevert trembla de rage.
— C’est bon, dit-il ; toi aussi tu sortiras d’ici ; mais tu en sortiras les pieds devant, cadavre sanglant que le bourreau, demain, aura façonné pour la tombe. Sois tranquille, Pardaillan. Tu ne t’en iras pas seul au cimetière des suppliciés ; je te suivrai jusque-là… Et quand j’aurai vu jeter la dernière pelletée de terre sur ton cadavre, après avoir, ici, assisté à ton dernier soupir, eh bien, je m’en irai, enfin libre et tranquille. Je t’assure, Pardaillan, que je passerai alors une bonne nuit à me dire : Ca y est, le sire de Pardaillan est dans la fosse… Et si, par hasard, quelque terreur posthume vient encore m’inquiéter, eh bien, j’aurai ma femme pour me rassurer et me consoler…
Maurevert s’arrêta un instant. Il espérait cette fois porter un coup terrible à Pardaillan, et puisqu’il ne souffrait plus dans son passé, le faire souffrir dans le présent.
— Ma femme ! continua-t-il. Au fait, tu la
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