La Fausta
connais…
Pardaillan, d’un geste de la main gauche, écarta la chauve-souris qui venait de se heurter à lui. Et Maurevert, à ce geste, recula vivement, d’un bond de terreur.
« Quelle sottise ! pensa-t-il en comprimant les battements de son cœur. Puisqu’il est enchaîné… »
Pourtant, il demeura à la place qu’il venait de gagner en reculant.
— Il est juste, reprit-il, que tu saches qui est ma femme, et ce que sont devenus tes amis. Je suis venu pour cela… Ma femme, tu la connais. Elle s’appelle Violetta ; je viens de l’épouser, il n’y a pas plus d’une heure. Maurevert, l’époux de Violetta. Qu’en dis-tu ?…
Pas un geste, pas un battement de paupières ne vint prouver à Maurevert que Pardaillan eût entendu.
Mais l’effort que le chevalier devait faire à cette minute pour commander à son visage et à son corps l’immobilité absolue, cet effort devait être affreux. Si Maurevert avait pu voir cette main que le chevalier avait mise dans son pourpoint, il l’eût vue toute sanglante…
— Quand tu seras mort, continua Maurevert, je partirai avec Violetta. Si elle m’aime ou ne m’aime pas, peu m’importe à moi !… Au contraire, je souhaite sa haine, car ce me sera un double plaisir que d’être le maître de cette fille malgré son amour pour un autre… L’autre, c’est un de tes plus chers amis… Encore un que je hais, puisqu’il est ton ami. Un que je condamne à mort… Tiens… écoute… l’entends-tu qui hurle ?… Là ! au-dessus de toi !… le cachot numéro quatorze, comme dit cet excellent Leclerc… eh bien, c’est le cachot de Charles d’Angoulême ! Tu ne dis rien ?…
La poitrine de Pardaillan se gonfla. Maurevert crut que c’était un soupir… un simple soupir… et cela lui parut bien peu pour sa soif de haine.
— Donc, reprit Maurevert, la jolie bohémienne porte mon nom et, tout à l’heure, je l’emmène : c’est mon bien, c’est ma chose. Et d’une ! Le petit Valois est là-haut, dans un cachot pareil au vôtre, vous pouvez l’entendre hurler : ce sera toujours une distraction, en attendant la question que viendra vous faire appliquer M. de Guise escorté par votre humble serviteur. Et de deux !… Qu’en dites-vous ?… Rien ? Passons…
Maurevert souffla fortement. Il alla décrocher le falot et, à pas lents, fit le tour du cachot. Il avait l’air d’examiner curieusement ces pierres noires rongées, moisies, sur la face ravagée desquelles coulaient des pleurs. En réalité, il surveillait Pardaillan du coin de l’œil et s’enivrait d’une jouissance prodigieuse. Il respirait avec délices cet air de tombe, et son cœur se dilatait dans ces ténèbres.
— Tiens, fit-il en appliquant le jet de lumière sur une inscription… Un mot écrit là… Ecrit ? Non pas, par la mort-diable ! Gravé, incrusté, un mot qui fait corps avec cette jolie habitation… l’enseigne de cette auberge !
Et il épela les lettres aux jambages tordus, fiévreux, désespérés… et il lut :
— DOULEUR…
— Oui, continua-t-il en hochant la tête, douleur ! C’est ici le royaume de la douleur… Et dire que moi, moi Maurevert, MOI ! comprends-tu, Pardaillan ? moi que tu poursuis depuis seize ans… depuis le coup de poignard qui piqua le sein de ta chère Loïse… A propos ! sais-tu qui m’avait donné ce poignard, sachant à quoi il était destiné ?… Une de tes vieilles amies ! cette excellente Catherine de Médicis que tu fis enrager un peu, jadis !… Donc, moi, moi qui tremble depuis seize ans, moi qui fuis depuis seize ans… Oh ! que tu m’as fait peur, Pardaillan !… Comprends-moi bien. J’ai mené une existence atroce, j’ai erré de maison en maison, de ville en ville, j’ai fui par monts et par plaines ! Pendant seize ans, j’ai tremblé, Pardaillan !… Non, tu ne sauras jamais quelle affreuse chose c’était que d’avoir peur de ton ombre, le jour, la nuit, dans la forêt, au fond du Louvre, toujours, partout !… Eh bien, moi, moi Maurevert, dis-je ! moi que tu hais, moi que tu as cherché seize ans, moi dont tu aurais mangé le cœur si ta griffe s’était appesantie sur moi… ah ! moi, je vais sortir d’ici, libre, heureux, respirant à pleins poumons, riche, sûr de vivre en paix, honneur et prospérité pendant de longues années, heureux comme tu ne fus jamais ! Et à chaque heure de ma vie, je me dirai : L’infernal Pardaillan est mort. Je l’ai vu mourir
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