La Fausta
faisait d’eux ses aides : il n’était plus un prisonnier qui s’évade, mais un chef qui commande et distribue la besogne. Ils entourèrent Comtois. Pardaillan prit deux arquebuses, et Charles les deux autres.
— Que voulez-vous voir ? demanda le geôlier.
— Les prisonniers ! dit Pardaillan.
— Les prisonniers ! murmura Comtois effaré.
— Marche, ou, par mon nom, tu es mort ! Combien y a-t-il de prisonniers dans les cachots ?
— Vingt-six… dont huit dans la tour du Nord, qui est de mon service spécial.
— Voyons donc les huit de la tour du Nord !…
Comtois jeta autour de lui un dernier regard, comme s’il eût espéré la soudaine arrivée d’une ronde, puis, voyant toute résistance inutile, il ouvrit une porte près de celle par où l’on descendait aux sous-sols. Et tous ensemble, ils commencèrent à monter, l’un des soldats portant le falot. Au premier étage, dans une chambre spacieuse et assez bien aérée, se trouvaient trois jeunes gens qui dormaient de tout leur cœur et qui, au bruit de ces gens entrant dans leur prison, se réveillèrent effarés.
— Messieurs, dit Pardaillan, veuillez vous habiller en toute hâte et me suivre.
— Bah ! fit l’un, est-ce pour aller en place de Grève ?
— Est-ce pour rendre visite à M. le bourreau ? demanda un autre.
— Est-ce pour aller achever la nuit auprès de nos maîtresses ? fit le troisième.
— C’est vous qui avez deviné, monsieur, dit Pardaillan. Veuillez donc vous hâter !…
A ces mots prononcés très simplement, les trois prisonniers firent un bond et, tout tremblants, sautèrent à bas de leurs lits. Ils étaient livides. Celui qui avait parlé le dernier s’élança vers le chevalier et dit :
— Monsieur, je vous vois tout déchiré, tout couvert de sang, et ma tête se perd à entrevoir la vérité… Ecoutez-moi. Voici M. de Chalabre qui a vingt-deux ans ; voici M. de Montsery, qui en a vingt ; moi-même, marquis de Sainte-Maline, j’en ai vingt-quatre. C’est vous dire quelle affreuse cruauté ce serait de votre part de nous offrir la liberté à l’heure où nous attendons la mort, si cette liberté n’est qu’une ironie… Monsieur, nous sommes condamnés à mort par M. de Guise parce que nous sommes des fidèles gentilshommes de Sa Majesté…
— Vive le roi ! dirent gravement les deux autres.
— Par grâce ! acheva celui qui parlait, dites-nous la vérité ; où nous conduisez-vous ?
— Je vous l’ai dit, répondit Pardaillan avec une gravité empreinte d’une souveraine pitié.
— Nous sommes donc libres ! haletèrent les infortunés jeunes gens.
— Vous allez l’être !…
— Nous sommes donc graciés !…
— Vous l’êtes !… dit doucement le chevalier.
— Qui nous fait grâce ?… M. de Guise ?…
— Non pas : nul ne vous fait grâce ; mais moi je vous fais libres…
— Votre nom ! votre nom ! dirent les trois premiers avec une prodigieuse émotion.
— Puisque vous m’avez fait l’honneur de me dire le vôtre, messieurs, on m’appelle le chevalier de Pardaillan…
— O mon ami ! mon frère ! murmura Charles. Je vous comprends, maintenant !…
— Hâtez-vous, messieurs ! reprit Pardaillan. Car si vous voulez de la liberté que je vous offre, il s’agit maintenant de la conquérir…
En un tour de main, les trois jeunes gens furent habillés. A chacun d’eux Pardaillan remit une arquebuse. Alors, celui qui s’appelait marquis de Sainte-Maline salua Pardaillan avec autant de cérémonie et de gracieuse aisance que s’il se fût trouvé à une présentation dans un salon du Louvre.
— Monsieur de Pardaillan, dit-il, nous vous devons la liberté et probablement la vie. Nous ne sommes pas gens à discours, mais écoutez ceci : nous vous sommes redevables de trois libertés et de trois vies. Quand il vous plaira, où il vous plaira, venez nous demander trois vies et trois libertés. C’est une dette de jeu ; nous paierons séance tenante, n’est-ce pas, messieurs ?
— Nous paierons monsieur à sa première réquisition, dirent Chalabre et Montsery.
Pardaillan s’inclina comme pour prendre acte de cette promesse.
— En route, messieurs, fit-il d’un ton bref. Et toi, marche !
Comtois leva les bras au ciel et obéit.
Or, ces trois jeunes prisonniers que les guisards réservaient à quelque supplice, c’étaient trois de ceux qu’Henri III appelait ses ordinaires ; c’est-à-dire qu’ils faisaient
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