La Fausta
suprême espérance !… Charles ébloui, tremblant, fou de stupeur, se laissa entraîner… Ils sortirent ! En quelques instants, ils atteignirent le haut de l’escalier, et Pardaillan, sans hâte, referma à triple tour la porte de la tour du Nord !…
Au même moment, on entendit derrière cette porte la galopade affolée des gardes qui, terrifiés, remontaient et se heurtaient du front aux ferrures intérieures !… Pardaillan s’appuya à la porte pour souffler un instant. Charles saisit ses mains et, comme dans le cachot, se mit à genoux, couvrant les mains de Pardaillan de larmes brûlantes.
— O Pardaillan, sanglota le jeune duc, ô mon frère, pardon… je vous ai frappé, moi !… Vous !… J’ai voulu vous tuer !… J’étais fou, Pardaillan… le désespoir m’ôtait le sens !… Maudits soient mes yeux qui ne vous ont pas reconnu ! Pardaillan, je ne suis qu’un misérable…
— Bon ! bon ! fit Pardaillan. Maintenant que nous sommes à moitié libres, nous avons quelques minutes devant nous pour dire des bêtises. Videz donc votre sac, monseigneur… Ouf ! on respire déjà mieux ici, bien que ce ne soit pas encore l’air de la liberté…
Et Pardaillan respira à grands traits.
— Pardaillan, reprit Charles, tant que vous n’aurez pas pardonné, le fils du roi Charles IX restera à vos pieds…
Le chevalier se pencha, saisit le petit duc, l’enleva et le serra sur sa poitrine.
— Enfant, murmura-t-il, depuis la mort de mon père… et d’une autre… je ne vivais plus qu’avec une pensée de haine ; je vous ai rencontré, et j’ai compris que si j’étais pour jamais mort à l’amour, une affection, du moins, pouvait encore réchauffer mon cœur. Je vous dois beaucoup plus que vous ne me devez : je n’avais plus de famille, et vous venez de me dire que j’ai un frère…
— Oui, Pardaillan, fit ardemment le jeune homme, un frère qui vous admire, un frère qui vous a placé si haut dans son cœur qu’il se demande en vain comment il pourra être digne de vous…
Ainsi, ces deux âmes solidement trempées oubliaient tout pour se témoigner leur amitié. Et, cependant, la situation était terrible. Mais Pardaillan était familiarisé avec les dangers ; et nulle situation, si effrayante qu’elle fût, ne pouvait l’étonner. Quant à Charles d’Angoulême, au contact de cette âme exceptionnelle, il se sentait grandi, capable d’héroïsme ; et une sorte d’orgueil l’enivrait, à comprendre qu’il se haussait aux sublimes efforts.
Il ne disait pas un mot de Violetta.
La parole de Pardaillan lui suffisait ; elle était vivante !… Et maintenant, devant cette réalité inouïe, devant cette délivrance qui le ramenait violemment à la vie dans la minute même où il ne voyait que la mort, une émotion extraordinaire le bouleversait.
Ils étaient dans cette cour étroite par laquelle on accédait à la tour du Nord. Au-delà de cette cour, il y en avait d’autres. Et là, ils rencontreraient des sentinelles, des geôliers, des gardes, des postes entiers, toute une garnison. Pour toute arme, ils n’avaient à eux deux que la dague arrachée par le chevalier à Bussi-Leclerc…
Pardaillan leva la tête vers ce pan de ciel qu’on apercevait au-dessus des murs et sur lequel se découpaient en noir les crénelures de la tour. A l’éclat des étoiles, il vit qu’il avait encore quelques heures de nuit.
Dans ce moment où Pardaillan cherchait à calculer la possibilité de ce miracle : sortir de la Bastille… en sortir vivant, avec Charles d’Angoulême, vivant et libre… dans ce moment, il prêta pour la première fois attention au tapage que Comtois et les arquebusiers faisaient derrière la porte.
— Ces sacripants réveilleraient des morts ! grommela-t-il. A plus forte raison éveilleront-ils des gardes !
La cour du Nord était heureusement assez éloignée des postes de sentinelles et surtout du grand poste de la porte d’entrée, qui comprenait une cinquantaine d’hommes. Voyant que les hurlements des enfermés, loin de s’arrêter, augmentaient en intensité :
— On dit que de crier plus fort que les chiens, fit-il, cela les terrifie et arrête leurs abois. Essayons !
Et Pardaillan se mit à frapper violemment sur la porte et à vociférer :
— Holà ! Etes-vous enragés ! Ne saurait-on dormir tranquilles ? Faut-il aller chercher le guet, pour vous clore le bec !…
Si Comtois et les gardes avaient des tempéraments
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