La Fausta
serons délivrés par la ronde qui passe à trois heures !
— Délivrés pour être pendus ! cria Pardaillan, car je dirai que vous êtes mes complices. Au fait, que vous soyez pendus ou que vous mourriez de faim, cela vous regarde. Adieu !…
— Arrêtez, monseigneur, vociférèrent les soldats. Arrêtez un instant, Par le Dieu clément !
Un bruit de lutte féroce remplit l’escalier : les quatre arquebusiers s’étaient précipités sur le geôlier qui se défendit de son mieux, mais qui, finalement, se trouva bâillonné et ligoté au moyen de ceintures et d’écharpes. Pardaillan comprit ce qui se passait. Et lorsque le silence se fut rétabli, il entrouvrit la porte.
— Passez-moi vos arquebuses et vos dagues, dit-il.
Les soldats obéirent avec promptitude. Alors, il ouvrit la porte toute grande. Les quatre infortunés sortirent en toute hâte, comme des oiseaux de nuit effarés. Ils déposèrent Comtois qui, bâillonné, ficelé comme un saucisson, grâce au zèle et aussi un peu à l’épouvante des gardes, roulait des yeux terribles.
— Voilà, monseigneur ! dirent-ils.
Pardaillan éclata de rire. Quant à Comtois, ayant constaté que non seulement le prisonnier du deuxième sous-sol était libre, mais encore que Charles d’Angoulême l’accompagnait, il eut un regard de stupéfaction et de douleur qui eût attendri un tigre. Pardaillan n’était pas un tigre ; mais malheureusement pour Comtois, il n’avait pas cette nuit-là le temps de s’attendrir.
Cependant, il délia les pieds du geôlier qui, aussitôt, se mit debout. Puis il le débâillonna. Mais en même temps il lui appuyait la pointe de sa dague sur la gorge, geste qui équivalait au plus éloquent des discours ; si bien que Comtois qui ouvrait déjà la bouche pour appeler à l’aide fut immédiatement convaincu par cette éloquence, et que sa bouche se referma graduellement.
— Te rends-tu ? demanda Pardaillan.
— A condition que vous me fassiez sortir de la Bastille, dit Comtois.
— Non seulement tu sortiras avec ces quatre braves, mais vous recevrez chacun une année complète de votre solde. Monseigneur Charles de Valois, duc d’Angoulême, se fait fort de la dette.
Charles acquiesça d’un signe de tête.
— En ce cas, je suis votre homme ! dit Comtois.
Quant aux quatre soldats, ils ne dirent rien. Mais leur attitude témoigna qu’après avoir pensé devenir fous de peur ils allaient peut-être devenir fous de joie. En effet, une année de solde, pour des gens qui en recevaient à grand-peine la moitié, qui étaient mal nourris et maltraités, c’était la richesse et la liberté.
— Partons, cher ami, dit alors le duc d’Angoulême.
— Un instant ! fit Pardaillan qui le regarda d’un air étrange. J’ai toujours rêvé de visiter la Bastille une bonne fois. Et l’occasion est trop belle et trop bonne pour que je la laisse échapper. Visitons la Bastille !
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Chapitre 49 OU PARDAILLAN VISITE LA BASTILLE
L e jeune duc fixa sur celui qu’il appelait son frère un regard de terreur. Pour Charles, en effet, il n’y avait plus qu’une chose à faire : s’en aller ! Il ne songeait pas aux grilles, aux sentinelles, aux postes, aux portes, aux infranchissables obstacles. Et puisque Pardaillan parlait de visiter la Bastille en un tel moment, eh bien !… c’est que Pardaillan était devenu fou !…
— Mon ami… mon frère !… balbutia le jeune homme avec une inexprimable angoisse.
Pardaillan sourit… Il y songeait, lui, à ces grilles, à ces obstacles qu’il fallait franchir ! et il se disait que si folie il y avait, c’en était une que d’entreprendre une opération où ils avaient mille chances de laisser leurs os, pour une de sortir à peu près vivants. Et c’est en songeant à ces obstacles que l’idée lui était venue de visiter la Bastille. Il se tourna donc vers Comtois, lui délia les mains et lui dit tranquillement :
— Marche devant, et ouvre-moi les portes !
— Je n’ai pas mon trousseau, dit Comtois avec un secret espoir.
— Le voici ! fit Pardaillan, goguenard.
Et il tendit le trousseau au geôlier ébahi.
— Vous autres, reprit le chevalier en s’adressant aux quatre soldats, marchez près de lui ; et s’il fait un geste de trop, assommez-le.
Tactique admirable. Pardaillan, en donnant une mission de confiance à ces hommes, en paraissant s’en remettre à eux du soin de sa sécurité, en donnant enfin une occupation à leurs esprits,
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