La Fausta
grande et forte rousse qui avait dû être fort jolie aux temps déjà lointains de sa jeunesse, venait de déposer sur la table un grand pot en disant :
— Ce sont des pêches cuites au vin, au sucre et à la cannelle. C’est délicieux.
Pardaillan vida les trois quarts du pot dans son assiette, et, ayant goûté, déclara :
— Merveilleux !
— C’est moi qui ai inventé cet entremets, dit l’hôtesse dont les grands yeux de brebis s’emplirent de contentement.
L’hôtesse, dont le visage exprimait une épaisse bêtise, rougit de plaisir.
— Aussi intelligente que jolie, ajouta Pardaillan.
L’hôtesse, qui était mûre et ne gardait de son ancienne beauté que ce que les fards pouvaient lui en conserver, l’hôtesse, à ce nouveau compliment, baissa les yeux et fit la révérence. Elle était conquise !
— Et comment vous nomme-t-on, ma toute belle ? reprit le chevalier.
— La Roussotte, mon gentilhomme, pour vous servir.
— Tudieu ! le joli nom… Madame la Roussotte, je vous déclare que votre auberge est la première de Paris. Vin mousseux et capiteux comme l’esprit de M. Dorat, poulets tendres comme des cailles de vigne, pâtés dignes de figurer sur la table de M. de Mayenne, que Dieu garde !… fruits confits à induire un moine au péché mortel de gourmandise…
A ce moment, un jeune homme vêtu de noir entra, s’assit à une table voisine. Les yeux pâles de ce jeune homme se fixèrent un instant sur le chevalier, et il tressaillit.
— Et, par-dessus le marché, achevait Pardaillan, hôtesse mignonne (une révérence), friponne (une autre révérence), jolie à rendre jalouse M me de Montpensier, la plus jolie femme de Paris (troisième révérence, soupir, battement des seins ; le jeune homme noir pâlit et son regard devient ardent, puis s’éteint). Madame la Roussotte, je m’installe dans votre auberge et n’en bouge plus tant qu’il y aura un écu dans ma ceinture… Y a-t-il de bons lits chez vous ?
La Roussotte s’efforça de rougir ; mais à notre grand regret, nous devons dire qu’elle n’y parvint pas. Avec cette légèreté spéciale de la commère qui cherche à se rappeler ses quinze ans, elle courut au jeune homme noir et silencieux et lui demanda ce qu’il voulait boire.
— Du même vin que ces messieurs ! dit l’inconnu.
Cependant, Charles contemplait Pardaillan d’un regard navré.
— Par la mort-diable ! s’écria Pardaillan en voyant revenir la Roussotte qui venait de servir l’inconnu, on croirait, mon cher compagnon, que vous avez un crime sur la conscience. Vous ne seriez pas plus triste si vous étiez ce Pardaillan dont M. le crieur patenté de la ville de Paris vient de mettre la tête à prix, un joli prix, d’ailleurs. Cinq mille ducats d’or ! Peste !… Je voudrais bien connaître ce Pardaillan !
Ici la physionomie de la Roussotte devint grave et elle prononça :
— Moi, je le connais…
Charles d’Angoulême fit un bond. Pardaillan, sous la table, lui écrasa le pied.
— Ah ! ah ! fit-il.
— Mais oui, je le connais ! dit la Roussotte.
Pardaillan pivota sur sa chaise, s’accouda à la table, regarda l’hôtesse en face, et dit :
— Dépeignez-le-moi, j’ai envie de gagner les cinq mille ducats, tiens !…
— Je gage dix nobles à la rose [18] que vous le connaissez aussi, dit tranquillement de sa place le jeune homme noir à l’œil pâle.
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Chapitre 51 OU PARDAILLAN DECOUVRE QUE L’HOTESSE EST PLUS BELLE QU’ELLE N’EN A L’AIR
P ardaillan loucha vers sa rapière pour s’assurer qu’elle était à portée de sa main, puis vers la porte pour s’assurer qu’il pouvait l’atteindre d’un bond et la fermer, puis enfin vers l’inconnu qui venait de parler ainsi. Mais ce jeune homme avait laissé retomber sa tête sur sa poitrine, et bien loin de paraître vouloir soutenir le pari proposé par lui-même, s’absorbait en une profonde admiration.
— Ah çà ! monsieur, dit Pardaillan, mais vous
le
connaissez donc ?…
— Je le connais ! répondit l’inconnu.
— Mais moi aussi je le connais, fit à ce moment une voix douce.
Et une femme, qui depuis quelques minutes venait d’entrer dans le cabinet, s’avança en souriant et s’appuya au bras de la Roussotte.
Pardaillan éclata d’un rire nerveux. Il commença à croire qu’il faisait un mauvais rêve. Quant à Charles d’Angoulême, il avait, sous la table, doucement tiré sa dague, et s’apprêtait à vendre
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