La Fausta
par la Fausta le soulageaient d’une inquiétude. Cette femme était peut-être une tigresse, mais c’était une femme. Maintenant, il était sûr d’avoir affaire à des hommes. Cette pensée le rassura.
— Qui êtes-vous ? demanda la Fausta, comme si elle eût vu alors pour la première fois l’homme qui était devant elle.
— Madame, dit Pardaillan, je suis celui à qui vous avez fait commettre une impardonnable faute. Grâce à votre habileté à vous déguiser, grâce à la merveilleuse aisance avec laquelle vous portez le costume cavalier, grâce à l’incomparable souplesse avec laquelle vous maniez l’épée, vous m’avez forcé, devant la
Devinière
, à vous prendre un instant pour un homme ; vous m’avez forcé à croiser le fer avec une femme ; vous m’avez forcé à toucher cette femme au front… Vous m’objecterez sans doute que j’ignorais que vous étiez une femme, mais je n’eusse pas dû l’ignorer, j’eusse dû deviner votre sexe et briser mon épée plutôt que d’en tourner la pointe contre un sein de femme. C’est une chose que je ne pardonnerai jamais, madame…
Pardaillan, son chapeau à la main droite, la main gauche appuyée à la garde de la rapière, l’œil doux, la figure paisible, parlait avec un accent de profonde sincérité. Fausta jeta sur lui un furtif regard. Et ses yeux, à elle, se troublèrent. Son sein palpita.
Il est certain que si elle était une magnifique expression de la splendeur féminine, Pardaillan, dans cette attitude un peu théâtrale, mais qui lui seyait à la merveille, avec son visage rayonnant de générosité, était un admirable type de beauté masculine.
Fausta comprit qu’elle avait devant elle un adversaire digne de sa puissance. Elle se trouva humiliée d’avoir voulu ruser.
— Monsieur de Pardaillan, dit-elle, je vous pardonne d’être entré ici sans y être appelé. Je vous pardonne de m’avoir touchée au front. Mais je vous déclare que vous ne sortirez pas d’ici vivant. Vous avez étendu les ordres que j’ai donnés ?
Pardaillan fit oui de la tête. Fausta reprit avec un sourire livide :
— Je vous pardonne aussi, puisque vous allez mourir, d’avoir surpris mes secrets, de savoir qui je suis, d’avoir failli me frapper d’impuissance et faire avorter les projets que j’ai formés sur les destinées du monde.
Pardaillan s’inclina.
— Madame, dit-il avec cette charmante naïveté de la voix et du regard qui n’appartenait qu’à lui, puisque vous voulez bien me pardonnez tout cela, pourquoi donc voulez-vous me tuer ?…
Fausta devint plus pâle encore qu’elle n’était. Toute émotion sembla avoir disparu de sa pensée. Et ce fut d’une voix morte, sans accent, qu’elle répondit :
— Vous allez comprendre d’un seul coup, monsieur de Pardaillan, combien je vous admire, combien je vous estime, et combien je suis sûre de vous tuer tout à l’heure. Je veux tuer, monsieur, parce que ce n’est pas au front, mais au cœur que vous m’avez touchée. Si je vous haïssais, je vous laisserais vivre. Mais il faut que vous mouriez, parce que je vous aime.
Pardaillan frémit. Ce qui venait d’être dit lui parut mille fois plus redoutable que l’ordre donné en sa présence. Il se sentit perdu… Mais même sur ce terrain, Pardaillan ne voulut pas reculer. Les derniers mots de la Fausta avaient porté l’entretien à une de ces hauteurs d’où il ne faut pas tomber, sous peine de se briser les reins. Il éprouvait comme un vertige. Et pourtant, il voulut, par le calme absolu, par la froideur terrible de l’attitude et de la voix demeurer digne de l’effrayante adversaire et la terrasser. Voici ce qu’il répondit :
— Madame, vous m’aimez. Et moi aussi, vous m’apparaissez d’une si splendide hideur, vous êtes à mes yeux une si inconcevable force de beauté, de deuil et de terreur, que je vous aimerais, oui, je vous aimerais, si je n’aimais…
— Vous aimez ? dit Fausta, non pas avec colère, non pas avec curiosité, ni avec amour, ni avec haine, mais seulement avec cette effroyable froideur que nous avons signalée.
— Oui, j’aime, dit Pardaillan avec une infinie douceur. Et j’aimerai jusqu’à la dernière minute de ma vie. Il n’y a pas dans mon âme d’autre sentiment possible que cet amour par lequel, j’étais, sans lequel je ne serais plus. Je l’aime, madame, je l’aime ; morte…
— Morte !
Ce fut presque un cri qui échappa à Fausta, une sourde
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