La Fausta
exclamation où se heurtaient de l’étonnement, de la joie et peut-être aussi, qui sait ? du regret. Car Fausta, sincère dans son rôle de Vierge, eût triomphé dans son cœur d’une jalousie contre une vivante…
— Vous devez penser que je suis un misérable fou, reprit Pardaillan. Mais cela est. J’aime la morte, depuis seize ans qu’elle est morte… Aussi, madame, je vous le jure d’honneur, je bénirais-la minute où les assassins que vous venez d’aposter vont se ruer sur moi, si je n’avais intérêt à vivre encore. Je vivrai donc, puisqu’il le faut.
Pour la seconde fois, Fausta ressentit comme une violente humiliation. Elle venait, ainsi que le disait Pardaillan, d’aposter des assassins prêts à se ruer. Et Pardaillan affirmait avec sa belle simplicité : — Je vivrai donc puisqu’il le faut…
Elle fut sur le point de donner le signal. Une intense curiosité, un ardent désir de mieux connaître cet homme la retint. Elle l’examinait avec un prodigieux étonnement. Il avait baissé la tête, comme pensif, après ce qu’il venait de dire. Il la releva soudain. Un fin sourire se jouait sur ses lèvres.
— Madame, dit-il, avant que je n’entreprenne de me colleter avec vos gens et de les réduire à la raison…
— Vous pensez les réduire ? interrompit Fausta avec un rire plus effrayant que sa froideur de tout à l’heure.
— Madame, je ne sortirai pas d’ici que je n’aie obtenu ce qu’il est nécessaire que j’obtienne, dit simplement Pardaillan. Et pour cela, je dois tout d’abord vous dire comment j’ai pu entrer ici…
Et en lui-même, Pardaillan s’écria : « O ma digne Pâquette, ô ma tendre Roussotte, voici pour vous sauver un peu… »
— Il faut que vous sachiez, continua-t-il à haute voix que j’ai un ennemi… excusez-moi, madame, ces détails sont nécessaires : cet ennemi est un moine jacobin, il s’appelle Jacques Clément.
Fausta ferma les yeux pour dissimuler la soudaine agitation qui s’emparait d’elle.
— Ce moine, reprit Pardaillan, je me suis saisi de lui, tout à l’heure, lorsqu’il est sorti de votre palais. Et je sais ce qu’il veut faire.
Pardaillan ne savait rien qu’une chose : C’est que Jacques Clément voulait tuer Henri III et qu’il était entré chez la Fausta. Tout le reste, avec sa vive imagination, il venait de le supposer. Et tandis qu’il parlait, il se disait :
« Si je me trompe, je suis mort. Si Fausta n’a pas elle-même armé le bras de Jacques Clément, si elle n’a pas un immense intérêt à tuer Valois, je ne sortirai pas d’ici… Ce sera ici ma tombe !… »
Fausta avait fermé les yeux. Il ne voyait pas ce qu’elle pensait. Mais il continua bravement :
— Frère Jacques Clément, madame, doit tuer Henri III. Et c’est vous qui le poussez à ce meurtre. Voilà ce que je sais, madame. Or, écoutez-moi, maintenant ! Par Jacques Clément, en le forçant à parler, j’ai su comment on entrait ici ; j’ai su son dessein, qui est le vôtre. Je connais ce moine depuis longtemps, madame. En le choisissant, je puis vous dire que vous avez choisi un terrible instrument. Il réussira. Il frappera Valois. De ce fait, M. le duc de Guise sera roi.
Il parlait lentement, comme on va, pas à pas, sur un terrain inconnu, plein de fondrières.
— Pour que Jacques Clément réussisse, continua-t-il, que faut-il tout d’abord ?… Qu’il soit rendu à la liberté… Il faut ensuite que le roi Henri III ne soit pas prévenu que M. le duc de Guise veut le faire trucider…
Cette fois le coup fut si rude que Fausta tressaillit. Pardaillan perçut ce tressaillement et respira longuement.
« Je commence à croire que je ne suis pas encore mort ! » songea-t-il.
— Ainsi, dit Fausta, le moine vous a avoué qu’il veut tuer Henri de Valois ?
— Ai-je dit cela madame ? Mettons que je me suis trompé, car Jacques Clément ne m’a rien dit. Seulement, je sais qu’il doit tuer le roi pour le compte de Guise, et sachant cela, je me suis emparé de lui. Si je suis libre, si vous m’accordez la grâce que je viens solliciter, Jacques Clément est libre, et il va où il veut, il fait ce qu’il veut. Car que m’importe à moi que Valois vive ou meure ! Cet homme est marqué pour quelque terrible représailles venue d’en bas. Il a accumulé de telles souffrances qu’un jour une de ces infamies doit le souffleter et une de ces souffrances le poignarder : c’est dans l’ordre.
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