La Fausta
stupéfaits, se regardèrent, puis timidement, redoublant les salutations à chaque marche, gravirent le perron.
C’étaient deux grands diables qui n’en finissaient plus de hauteur, mais tous deux d’une extravagante maigreur, faméliques, semblant s’être exclusivement nourris de cailloux depuis le jour de leur naissance, piteux, minables, avec leurs manteaux troués, effrangés, leurs semelles acculées, rapiécées, leurs plumes grotesques, détrempées et déchiquetées, vêtus d’emphatiques guenilles de baladins dans la misère.
A leur entrée dans la salle, il y eut des grognements de protestation. Mais Pardaillan fit circuler autour de lui un regard si étincelant que les grognements se changèrent en murmures de satisfaction, et les grimaces en sourires.
Alors il conduisit les deux gueux à la table resplendissante et leur fit signe de s’asseoir devant le féerique repas qu’elle supportait. Effarés, muets d’émotion, les narines larges ouvertes et l’œil obliquement braqué sur les chefs-d’œuvre d’Huguette, les deux lamentables sires obéirent, s’assirent de côté, posant chacun un quart de fesse sur leurs sièges. Et ils demeurèrent pantelants, croyant rêver.
— Comment vous appelez-vous, monsieur de la Vrille ? demanda Pardaillan à celui de ses invités qui paraissait le plus intelligent des deux : figure chafouine, petits yeux vifs voltant et virant, nez pointu, long cou, long buste, longs bras, longues jambes.
L’homme répondit en se courbant :
— Monseigneur, on m’appelle Picouic…
— Picouic ?… Jolivet mélancolique. Mais veuillez ne pas me monseigneuriser, s’il vous plaît !… Et vous, monsieur du Corbeau ?
L’autre, en effet, était une caricature de corbeau : cheveux noirs et plats sur le front, nez long, proéminent et osseux, menton fuyant, attitudes balourdes, allure un peu pédante et bégueule. Il répondit d’une voix lugubre :
— Monseigneur, on m’appelle Croasse…
— Croasse ? Admirable, par Pilate !… Mais ne me monseigneurisez donc pas !… Eh bien, monsieur Picouic et monsieur Croasse, attaquez-moi hardiment ces bécassines et ces pâtés… Mangez et buvez, vous êtes aujourd’hui les hôtes du chevalier de Pardaillan… Madame Grégoire, voici l’écot de mes deux camarades, ajouta le chevalier en déposant deux écus d’or dans la main de l’hôtesse.
Et sur un geste de refus esquissé par Huguette :
— Ma chère Huguette, fit-il doucement, vous savez que mes hôtes sont à moi et que je n’ai jamais permis à personne de s’en emparer, pas même à M. Grégoire, qui était de mes amis.
— Soit ! dit la belle hôtesse avec un soupir. Mais l’écot dépasse de beaucoup…
— Eh bien, vous rendrez le surplus à mes invités, dit Pardaillan.
Et saluant les deux hères d’un de ces grands gestes chevaleresques dont il avait le secret, le chevalier, suivi de Pipeau, rejoignit le duc d’Angoulême qui l’attendait dans la rue : cependant que MM. Croasse et Picouic, les deux « hercules » de Belgodère, hébétés d’admiration et doutant encore s’ils étaient éveillés, commençaient timidement l’attaque, qui bientôt devint une charge à fond…
A l’instant où Pardaillan, suivi d’un regard rêveur de la bonne hôtesse, franchissait le seuil de la
Devinière
, le rideau d’un cabinet qui s’ouvrait sur la cuisine et la salle tout à là fois, se souleva. Derrière les vitraux apparut une sombre figure qui le regarda descendre le perron… Et cette figure, convulsée de haine, livide d’épouvante, c’était celle de Maurevert, l’homme au poignard empoisonné, l’assassin de Loïse de Pardaillan, comtesse de Margency.
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Chapitre 7 L’ORGIE
S 'il fallait chercher le mot synthétique capable de traduire le duc deGuise dans sa personnalité humaine, nous dirions que cet homme s'appelait Orgueil. L'orgueil dominait ses pensées de cœur et ses sentiments de cerveau; l'orgueil était sans doute son attitude morale; Guise, comme Achille, n'avait qu'un point vulnérable dans son âme cuirassée: on ne pouvait le blesser que dans son orgueil.
Or, ce capitaine qui pouvait réellement passer pour le plus beau gentilhomme de Paris, à qui toutes les grandes dames de l'époque écrivaient des lettres passionnées, à qui les bourgeoises jetaient des baisers et les femmes du peuple des fleurs dès qu'il paraissait dans la rue, cet homme qui fut plus idolâtré que Richelieu, plus
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