La Fausta
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Les violentes émotions duraient peu chez Pardaillan. Ce fut avec plus de curiosité que d'effroi ou de vénération qu'il considéra l'étrange princesse.
- Madame, dit-il, puisque vous avez commencé à m'expliquer votre pensée, daignez achever… Je vois que vous êtes en France pour une œuvre que je ne connais pas, mais qui doit être terrible…
- Cette œuvre, dit alors Fausta redevenue maîtresse d'elle-même, vous en avez vu les premiers actes… Henri deValois a succombé à nos premiers coups… il est en fuite… Le trône de France est inoccupé… Chevalier, que pensez-vous d'HenriIII?…
- Moi, madame?… Mais je n'en pense rien, sinon qu'il est en fuite, comme vous venez de le dire.
- Oui… Mais avez-vous un motif quelconque de lui être dévoué?… Parlez franchement…
- Je connais à peine le roi, madame. Je ne l'ai vu qu'une fois ou deux, alors qu'il s'appelait le duc d'Anjou, et j'avoue que je le tiens en médiocre estime…
Le visage de Fausta s'éclaira.
- Bien, dit-elle. Maintenant, tout ressentiment à part, que pensez-vous d'Henri deGuise?
- Je pense, dit nettement le chevalier, qu'il est tout désigné pour monter sur le trône de France… C'est du moins l'opinion de tous les Parisiens.
- Oui! dit Fausta. Mais ne pensez-vous pas aussi qu'il est plus digne de la couronne que n'importe quel gentilhomme de ce pays? N'a-t-il pas la force d'âme, le courage, la générosité de pensée, l'intrépidité naturelle qui peuvent faire accomplir de grandes choses?…
- Mon Dieu, madame, fit Pardaillan avec ce sourire de naïveté aiguë qui faisait qu'on ne savait jamais s'il plaisantait, je crois que vous voulez me demander si Henri deGuise sera un roi capable de mériter autour de lui les dévouements héroïques?
- C'est bien ce que je vous demande, me faisant fort d'obliger le roi de France à oublier les insultes faites au duc deGuise…
- Mille grâces, madame! dit Pardaillan qui s'inclina. Je souhaite et espère au contraire que Guise se souviendra. Quant à mon avis, le voici tout franc: j'estime d'abord que le trône de France serait admirable si aucun roi ne s'y asseyait. Que voulez-vous! C'est une folle idée que j'ai ramassée le long des routes, en regardant le soleil qui est fait pour éclairer tout le monde, et en voyant que peu sont appelés à se chauffer à ses rayons!… Ensuite, s'il faut absolument qu'il y ait quelqu'un dans ce pays pour continuer à lever des impôts, occupation charmante, j'en conviens, il faudrait au moins que ce quelqu'un fût aimable, beau et généreux entre tous…
- N'est-ce pas le portrait d'Henri deGuise? dit Fausta avec un regard aigu.
Pardaillan prit un visage des plus stupéfaits.
- Comment, madame, n'avez-vous donc pas entendu ce que j'ai eu l'honneur de vous dire?… Comment l'homme qui pose son pied sur la tête d'un ennemi vaincu peut-il être généreux?… Comment peut-il m'apparaître brave et beau, à moi qui l'ai souffleté!…
Pardaillan se leva et s'appuya sur sa rapière.
- Tenez, madame, jusqu'ici j'ai plaisanté, je crois… je vous supplie de me pardonner… c'est plus fort que moi, je ne puis prendre au sérieux ce que font les hommes. Je me contente de les aimer quand ils sont aimables, de les admirer quand ils agissent en véritables hommes, et de les mépriser et encore!… plus simplement, de m'écarter d'eux quand ils agissent en fauves… Guise est un fauve, madame. Je ne le blâme pas; seulement, je le trouve hideux… Et puis… et puis…
- Achevez donc, chevalier, dit Fausta avec un sourire mortel.
- Soit! Je voulais vous dire ceci: que faites-vous, vous-même? Si belle, madame, si admirable de beauté, femme, admirablement femme, vous ne songez à rien de sérieux, c'est-à-dire à l'amour, au bonheur… Vous songez à des choses qui, d'avance, me font bâiller d'ennui… c'est-à-dire à des histoires de trône… Excusez-moi… Je vous le disais bien qu'avec moi vous ne connaîtriez pas les belles pensées de la gentilhommerie…
- Jamais je ne fus autant intéressée… continuez! reprit Fausta dont le regard lança un sombre éclair.
- Merci, madame!… Je continue… Encore si ces histoires de trône offraient un amusement quelconque… Mais non. Cela se complique… Ce sont des choses assez laides que j'entrevois… Voulez-vous que je vous dise?… Eh bien, Henri deGuise ne sera pas roi de France!…
- Pourquoi?… Voyons… pourquoi?…
- Parce que je ne veux pas, dit simplement
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