La Fausta
vous m'aviez fait l'honneur de prendre des résolutions à mon égard?…
- M.deGuise doit vous haïr de haine mortelle, dit lentement Fausta.
- De haine, oui! fit le chevalier froidement; de haine mortelle, non; car si la haine de M.deGuise était mortelle, il y a longtemps que je serais mort…
- S'il vous hait depuis longtemps, raison de plus pour faire votre paix avec lui…
- Vous voulez dire, madame, qu'il serait sage à lui de faire sa paix avec moi?
Fausta jeta un regard plus aigu sur la figure étincelante de cet homme qui osait parler ainsi du maître de Paris. Dans ces yeux d'acier, elle ne vit aucune fanfaronnade. Sur ce front calme, elle lut une sereine intrépidité…
- Monsieur, dit-elle tout à coup, si vous voulez mettre votre épée au service du duc deGuise, je vous jure, moi, que non seulement il oubliera tout ressentiment, mais encore qu'il fera de vous un puissant seigneur…
- Il faudra donc, dit paisiblement le chevalier, qu'il touche cette main que voici?…
Et il tendit sa main droite.
- Il la touchera, fit-elle en souriant.
- Permettez-moi, madame, d'avoir meilleure opinion que vous d'un homme qui sera, demain peut-être, roi de France, dit Pardaillan avec cette tranquillité qui était son élégance, à lui. M.deGuise ne peut toucher la main qui l'a touché au visage…
Fausta éprouva un des ces frémissements qui venaient de l'agiter déjà deux ou trois fois.
- Vous avez fait cela! murmura-t-elle, vous avez souffleté le duc deGuise!…
- Dans une circonstance qu'il vous racontera lui-même, si vous le lui demandez. Il vous dira que lui, chevalier deLorraine, haut seigneur, le premier du royaume après les princes du sang et peut-être même avant, n'a pas hésité à pénétrer avec une troupe armée et nombreuse dans la maison d'un vieillard sans défense, blessé, presque mourant. Il vous confessera qu'il a eu ce courage, lui, HenriI er deLorraine, de faire assassiner dans son lit ce malheureux. Il vous dira qu'il poussa la magnanimité jusqu'à jeter par la fenêtre le cadavre sanglant de l'amiral Coligny. Il vous dira enfin que sur ce front livide du mort, lui, l'homme de la chevalerie élégante, posa son talon; rude victoire, madame! Et ce ne fut pas la payer trop cher, du soufflet qui jaillit alors, si j'ose dire, de la main que voici!…
- Le duc défendait la cause de l'Eglise! dit sourdement Fausta.
- De quelle Eglise, madame?… Il y en a au moins deux…
Pardaillan avait prononcé ces derniers mots sans autre intention qu'une innocente raillerie. Mais Fausta pâlit soudain.
- Comment savez-vous qu'il y a deux Eglises, vous? gronda-t-elle de cette voix si dure qu'à peine pouvait-on concevoir qu'elle sortît de cette bouche si délicate.
- Deux Eglises! murmura Pardaillan étourdi. Que veut dire cela?… »
Est-ce que cet homme serait un espion!» songeait Fausta.
«Oh! oh! se disait le chevalier, est-ce que cette femme serait le chef occulte de la Sainte Ligue… Est-ce que Guise ne serait qu'un instrument!… Est-ce que la Ligue serait une nouvelle Eglise!… Ce merveilleux palais, ce trône surmonté d'une tiare… ces clefs symboliques brodées sur les tentures… Oh! mais, c'est fabuleux ce que je vais penser là!… Ce palais… ce serait donc… le palais d'un pape!… un autre pape que Sixte Quint!… Un pape installé à Paris!… Allons, allons, sornettes et visions!… »
Dans ce bref instant où ils songeaient ainsi, ils s'étaient regardés, plus profondément étudiés, tâtés comme deux lutteurs. Fausta avait rapidement pris son parti. De son examen, il résulta à ses yeux que Pardaillan devait être un de ces routiers comme il y en avait tant alors, s'attachant au plus offrant, et mourant pour le dernier enchérisseur… mais un routier héroïque, capable d'entreprises extraordinaires: une épée invincible qu'il s'agissait d'acheter à tout prix.
- Chevalier, reprit tout à coup Fausta, si vous ne pouvez être à M.deGuise peut-être ne refuseriez-vous pas de servir un autre maître?
- Cela dépend du maître, madame, fit Pardaillan de son air le plus ingénu. Qu'est-ce que je suis, moi? Un homme qui ne demande qu'à s'amuser, et qui s'ennuie dans la vie… J'avoue d'ailleurs que si je m'ennuie, c'est un peu par ma faute. J'ai rêvé jusqu'ici les hommes plus grands qu'ils ne sont. Ah! si je tombais sur quelque terrible chevalier au cœur indomptable, à l'esprit de diamant, aux pensées vastes, qui me demanderait de l'aider à
Weitere Kostenlose Bücher