La Fausta
l'élégance, je ne pourrai guère vous offrir que celle d'un bon routier, qui n'a eu pour maîtres que la nécessité de l'heure, le hasard du jour, la tristesse et la joie de la solitude. Cela dit, madame, je me déclare à vos ordres.
Fausta fit un geste comme pour inviter le chevalier à la suivre, et pénétra dans l'intérieur. Pardaillan entra derrière elle.
«Oh! oh! songea-t-il par les magnificences au milieu desquelles il se trouvait soudain transporté, est-ce ici le Louvre royal?… Non, car le roi de France n'est pas assez riche pour entasser de tels trésors… Est-ce la demeure d'une guerrière?… Non, car ces parfums énervants sont plutôt ceux d'une magicienne d'amour. Est-ce le logis d'une courtisane? Non, car ces panoplies d'armes que je vois rutiler aux murs sont l'ornement d'une combattante et non d'une amoureuse! Que vois-je dans cette salle immense?… Un trône! Un trône d'or!… Oh!… Est-ce donc une reine?… Oui, par le ciel! car il y a une couronne au-dessus du trône!… Une couronne?… Non pas!… par tous les diables… une tiare! une tiare papale!… »
Pardaillan ébloui, transporté en pays de rêve et de mystère, palpitait. Pourquoi un trône? Pourquoi une tiare? Qu'était-ce que cette femme dont il admirait devant lui la démarche onduleuse et souple?… Cependant, il ouvrait l'œil. Il avait maintenant la vague intuition qu'il se trouvait en présence d'une redoutable énigme.
Fausta s'arrêta dans cette façon de boudoir où elle avait reçu le duc deGuise et qui était sans doute destinée aux étrangers. Elle s'assit sur ce siège de satin blanc où sa beauté fatale prenait un relief de précieuse médaille comme patinée par la douleur ambiante. Et avant que Pardaillan fût revenu de cet étonnement qui le subjuguait:
- Monsieur le chevalier, dit-elle, c'est vous qui, sur la place de Grèves, avez tenu tête à M.le duc deGuise, et lui avez joué ce tour dont tout Paris a parlé et s'est émerveillé…
- Moi, madame? s'écria Pardaillan jouant la stupéfaction et se demandant déjà s'il ne ferait pas mieux de s'en aller purement et simplement sans autre explication…
- C'est vous, monsieur le chevalier, qui avez entraîné Crillon à travers la foule des bourgeois, et avez conduit sa troupe jusqu'au-delà de la Porte-Neuve…
«Que la peste m'étouffe! songea Pardaillan. Qu'avais-je besoin de secourir cette mijaurée qui m'est tombée dans les bras! Madame, reprit-il tout haut, êtes-vous bien sûre que ce soit moi?… »
- J'ai tout vu; du haut d'une fenêtre, je prenais plaisir à voir la place encombrée de bateleurs et de marchands… j'ai tout vu, et je viens de vous reconnaître. Oui: c'est bien vous.
- En ce cas, madame, je me garderai bien de vous contredire. Ce serait en effet vous donner une piètre idée de cette gentilhommerie française que vous êtes venue étudier sur place.
Pardaillan, son premier étonnement passé, redevenait maître de lui-même. Il avait une physionomie de naïveté ingénue et paisible. Il regardait en face la princesse Fausta et n'en paraissait pas troublé. En réalité, il étudiait avec cette rapidité et cette sûreté que donne seule l'intuition et qu'aucune science ne peut faire acquérir. Quant à Fausta, il était impossible de savoir ce qu'elle pensait. Mais pour la première fois, elle voyait un homme soutenir son regard avec une dignité mêlée d'une impassible ironie… Et, à un battement plus rapide des cils, à un mouvement plus accentué du sein de marbre, peut-être eût-on pu deviner que pour la première fois elle était émue, et que la statue s'animait, à son insu sans doute…
- Monsieur, dit-elle, sur la place de Grève, je vous ai admiré…
- Parole précieuse, madame, car je vois à votre air que vos admirations doivent être rares.
- Votre épée est sûre, monsieur, dit Fausta surprise de tressaillir; mais votre coup d'œil est encore plus sûr. En effet, je n'admire qu'à bon escient. Venons donc au fait. Je vois que vous êtes un de ces hommes avec qui la franchise devient l'habileté suprême…
- Que va-t-il m'arriver? se dit Pardaillan.
- Lorsque, sur la place de Grève, je vous ai vu à l'œuvre, continua Fausta en essayant vainement de faire baisser les yeux du chevalier, j'ai pris aussitôt la résolution de m'enquérir de vous et de vous connaître. Le hasard me sert à souhait, et maintenant que je vous ai vu de près, je me confirme dans mes résolutions.
- Ah! madame,
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