La fée Morgane
disant : « Je comprends ta
violence, Uryen, mais il y a un autre moyen d’obtenir une compensation à l’outrage
que Morgane et toi avez subi. Puisque Lanval prétend que son amie est plus
belle que les plus grandes dames de la cour, qu’il le prouve ! Il devra la
faire venir devant nous, et nous verrons bien s’il est en mesure de se
justifier ! » Le roi Uryen se rangea à l’avis d’Arthur, et celui-ci envoya
trois de ses chevaliers avec l’ordre de se saisir de Lanval et de l’enfermer
dans une prison en attendant le jugement.
Cependant, Lanval était rentré à son hôtel, désespéré parce
qu’il savait bien qu’il venait de perdre son amie. Ne lui avait-elle pas fait
promettre de ne jamais parler d’elle à quiconque ? Or, sans y penser, et
seulement pour répondre aux provocations de Morgane, il avait failli à son
serment. Il s’était enfermé dans une chambre, anxieux et angoissé. Il l’appelait
sans cesse, mais se rendait compte que ses appels demeuraient sans effet. Il se
plaignait et soupirait, lui criait qu’il lui demandait sa grâce, l’implorait de
lui accorder son pardon. Il se maudissait de son inconscience, mais il criait
et se lamentait en vain : elle ne daigna pas apparaître un seul moment.
Les trois chevaliers, que le roi Arthur avait envoyés, arrivèrent
alors et lui ordonnèrent de les suivre. Lanval leur obéit, le cœur empli de
désespoir. Ils l’amenèrent d’abord dans une chambre forte où il fut enfermé
toute la nuit et une partie de la journée suivante. Puis, toujours sur ordre du
roi, on vint le chercher et on le mena dans la grande salle du palais où
étaient réunis Arthur, Uryen, Yvain, Kaï et beaucoup d’autres chevaliers de
grand renom. Il y avait également là la reine Guenièvre, Morgane et bien d’autres
dames de la cour. Lanval se présenta devant le roi, pensif et taciturne, ayant
le visage d’un homme sous le coup d’une grande souffrance.
Arthur lui dit avec colère : « Vassal, tu as
commis une grave injure envers ma sœur Morgane, et cette injure, le roi Uryen
et moi-même, nous la ressentons cruellement. Tu as essayé de nous outrager et
de nous honnir ! En plus, tu t’es vanté d’une folie en prétendant que la
moindre des servantes de ton amie était plus belle et plus sage que les dames
de cette cour, en particulier la reine Guenièvre et ma sœur Morgane. Ton
insolence n’a d’égale que ta folie, et pour cela tu devras payer de justes
compensations. » Lanval se redressa : « Roi Arthur ! s’écria-t-il.
Je ne suis ni fourbe ni menteur, et encore moins un homme de déshonneur. Le
Ciel m’est témoin que jamais je n’ai sollicité ta sœur, la reine Morgane, de m’accorder
son amour. C’est une pensée qui ne me serait jamais venue à l’esprit tant j’ai
d’estime pour mon seigneur le roi Uryen, et pour toi-même, roi Arthur. Quant à
l’amour dont je me suis vanté pour la plus belle et la plus noble de toutes les
femmes, je ne le renie pas, bien au contraire, et je l’affirme haut et clair
devant tous ceux qui sont ici. Et si je mène un tel deuil, c’est que j’ai perdu
cet amour par mes paroles qui étaient imprudentes, mais qui étaient sincères. Je
n’ai rien d’autre à me reprocher, et je fais confiance à ta justice pour que la
vérité soit enfin établie ! – Il me semble que c’est à toi de faire la
preuve de ce que tu prétends. Oserais-tu nier les propos que tu as tenus à ma sœur
Morgane ?
— Il y a des propos que je nie et d’autres que je
confirme, répondit Lanval. Demande à ta sœur ce qu’elle en pense. » Arthur
se tourna vers Morgane : « Parle. Expose-nous les faits tels qu’ils
se sont passés. » Morgane se leva, et, d’un air arrogant, elle s’adressa à
tous les assistants. « J’affirme, dit-elle, que cet homme dont le nom est
Lanval, a tenté de me déshonorer et s’est ensuite vanté d’avoir une amie plus
belle que la reine Guenièvre et moi-même. – Roi Arthur, répliqua Lanval, ta sœur
est certainement la plus rusée de toutes les femmes de ce monde, mais son cœur
est plus faux que le plus vil des serpents. Elle est assez habile pour
embrouiller vérité et mensonge de telle sorte qu’on ne puisse plus les reconnaître ! »
Le roi Arthur était très irrité. Il se tourna vers les assistants
et leur demanda leur avis. Ils étaient tous très troublés. D’une part, ils
savaient qu’ils ne pouvaient pas se dresser contre la parole
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