La fée Morgane
lorsqu’ils
quittaient la cour du roi. Lanval y courut et monta dessus. Quand la Fée des
Brumes eut atteint la grande porte, il sauta sur un palefroi qui se trouvait là,
piqua des deux et s’élança derrière elle, disparaissant dans la brume. Et personne
ne le revit jamais plus [47] .
Quant à Morgane, elle n’avait pas attendu le prononcé du jugement
pour quitter l’assemblée. Dès qu’elle avait vu la Fée des Brumes, elle avait
compris qu’elle s’était mesurée à plus fort qu’elle. Pleine de ressentiment, mais
prenant grand soin de ne pas manifester sa rage, elle se mit à rôder dans les
couloirs du palais avant de se réfugier dans une chambre où, allongée sur un
lit d’apparat, elle pleura longuement. Et, quand la nuit s’avança, elle sortit
de la chambre, voulant regagner les appartements qu’elle partageait avec le roi
Uryen. C’est alors qu’elle croisa Accolon de Gaule, un chevalier brave et
intrépide qui s’était mis depuis peu au service du roi Arthur. Ce n’était pas
la première fois que Morgane l’avait remarqué, d’autant plus que le chevalier
manifestait assez clairement le désir qu’il avait d’elle. Elle le dépassa, puis
s’arrêta brusquement et se retourna. Accolon s’était lui aussi retourné. Morgane
lui sourit et lui tendit la main. « Viens ! » lui dit-elle. Et
elle l’entraîna dans la chambre où elle s’était réfugiée pour pleurer.
Le matin, quand le soleil se mit à briller par les fenêtres,
Morgane se souleva légèrement et contempla le visage d’Accolon qui dormait. Elle
eut un étrange sourire et ses yeux se mirent à briller. « Il a le visage d’un
roi du monde », murmura-t-elle. Alors, elle se leva, remit de l’ordre dans
ses vêtements et, le plus silencieusement possible, elle se glissa hors de la
pièce [48] .
10
Les Intrigues malheureuses
Un jour, le roi Arthur et de nombreux chevaliers s’en
allèrent à la chasse dans une vaste forêt située assez loin de Carduel. Au
cours de l’après-midi, Arthur, qui était en compagnie du roi Uryen et d’Accolon
de Gaule, débusqua un grand cerf roux et entreprit de le poursuivre. Mais le
cerf était si rapide que les trois hommes eurent beau forcer l’allure de leurs
chevaux, ils n’arrivèrent pas à le rejoindre. Et bientôt, leurs montures, épuisées
par la course harassante qu’elles avaient menée, s’effondrèrent pour ne plus
bouger. « Voilà qui est bien ennuyeux, dit Arthur. Qu’allons-nous faire à
présent ? – Allons à pied, dit le roi Uryen, jusqu’à ce que nous trouvions
quelque logement pour passer cette nuit. »
Ils marchèrent à travers la forêt et arrivèrent sur le bord
d’une rivière qui s’élargissait à cet endroit et formait un grand estuaire. C’est
alors qu’ils aperçurent un petit navire, toutes voiles dehors, et qui
paraissait se diriger vers eux. « Voici une bonne chose pour nous, dit Arthur,
mais il reste à connaître quelle sorte de gens se trouve sur ce bateau. » À
ce moment, l’embarcation accostait près d’une plage de sable gris. Arthur
avança le plus qu’il put, mais il ne vit personne sur le pont du navire.
« C’est bien étrange, dit-il, et je pense que nous devrions monter à bord
pour en savoir davantage. »
Ils furent bientôt tous les trois sur le bateau, et remarquèrent
que l’aménagement y était somptueux : on y voyait des meubles précieux, des
coffres en bois ouvragé, des lits recouverts de belles étoffes de couleur et
même, bien disposés comme à leur intention, des vêtements de soie. Les trois
hommes examinèrent le bâtiment à fond sans y découvrir la moindre trace de vie.
La nuit tombait et l’obscurité était de plus en plus profonde. Mais, tout à
coup, de chaque côté du navire, une centaine de torches s’allumèrent, donnant
une lumière si intense qu’ils en furent un instant aveuglés. « Que se
passe-t-il donc ? demanda Uryen. Sommes-nous éveillés ou rêvons-nous ? »
Il avait à peine posé cette question qu’apparurent douze jeunes filles vêtues
de soie blanche, toutes plus belles les unes que les autres. Elles saluèrent le
roi Arthur et fléchirent le genou devant lui en l’appelant par son nom, puis
elles dirent qu’elles étaient là pour le servir, ainsi que ses compagnons. Arthur
les remercia vivement, s’abstenant de leur demander d’où elles étaient venues.
Elles les conduisirent alors dans une belle salle où était
dressée une table.
Weitere Kostenlose Bücher