La fée Morgane
ses suivantes d’aller chercher les plus
délicates et les plus jolies filles du palais, afin de descendre avec elle dans
le verger. Elle en choisit trente et, avec elles, elle descendit de la tour
pour aller rejoindre les chevaliers.
Ceux-ci vinrent à leur rencontre et leur firent joyeux et
bruyant accueil. Ils les prenaient par les mains et les emmenaient promener. On
fit venir des musiciens et l’on dansa sur l’herbe verte. Mais Lanval s’était
mis à l’écart, loin des autres. Peu lui importait cette fête, il songeait
seulement à son amie. Il lui tardait de la voir et il se demandait comment il
allait pouvoir prendre congé de ceux qui l’avaient si aimablement invité à partager
leur divertissement. Mais Morgane avait bien vu qu’il restait seul. Sans se
faire remarquer des autres, elle alla vers lui, s’assit à ses côtés et lui
parla ainsi : « Lanval, voilà bien longtemps que tu as touché mon cœur.
Je peux t’avouer que je t’aime plus qu’aucun homme au monde. Et sache que tu
peux avoir mon amour tout entier quand tu le voudras. Tu n’as qu’à parler. Je t’octroie
ma tendresse et suis prête à faire ta volonté. »
Lanval fut si surpris par les paroles de Morgane qu’il demeura
silencieux, incapable de répondre quoi que ce fût. « Eh bien ! reprit
Morgane, es-tu sourd ou sot pour n’avoir pas entendu ce que je t’ai proposé ? »
Lanval se sentit gagné par la colère. « Dame, dit-il enfin, laisse-moi en
paix ! Je n’ai aucune intention d’accepter l’amour que tu m’offres de
cette façon insolente. J’ai longtemps servi le roi Uryen et je me croirais
déshonoré si j’acceptais de le trahir avec toi ! Je te prie de ne pas
insister ! » Et Lanval se leva, près de rejoindre les autres
chevaliers. Morgane le saisit alors par le bras : « Je comprends, dit-elle
d’une voix furieuse, que l’amour des femmes te répugne. J’ai entendu dire bien
des fois que tu n’avais aucun souci pour les dames et les jeunes filles. C’est
certain, tu préfères les valets bien tournés, et c’est avec eux que tu prends
ton plaisir. Vraiment, le roi Uryen a été bien inspiré en t’admettant parmi ses
compagnons ! »
Lanval fut très peiné de l’accusation que portait Morgane contre
lui. Il ne fut pas long à riposter, mais il le fit trop à la légère :
« Reine Morgane ! s’écria-t-il avec force, je n’entends rien à ces
vilenies. Je peux t’assurer que j’aime une femme qui dépasse de loin toutes les
autres femmes que je connais ! Et j’ajouterai aussi que n’importe laquelle
de ses servantes, même la plus humble de toutes, vaut mieux, par sa beauté et
sa sagesse, que toutes les dames de la cour, à commencer par toi ! »
Et Lanval s’éloigna, laissant Morgane dans le pire des désarrois.
Elle était si orgueilleuse qu’il lui était impossible de
supporter l’affront que Lanval venait de lui infliger. Elle regagna sa chambre
en toute hâte et se jeta sur son lit. « Je me vengerai ! se
disait-elle. Et de telle façon que Lanval ne s’en remettra jamais. Ah, Lanval !
Tu as été bien imprudent de refuser l’amour de Morgane. À présent, tu mérites
ma haine et mon ressentiment. Tu paieras très cher le dédain que tu as
manifesté envers moi ! » Et tout en versant d’abondantes larmes de
rage, Morgane songeait déjà par quel moyen elle allait perdre Lanval.
Un peu plus tard, le roi Arthur rentra de la chasse, en compagnie
de Kaï, le sénéchal, et du roi Uryen. Ils entrèrent tout joyeux dans la grande
salle du palais et demandèrent qu’on leur servît à boire. C’est à ce moment que
Morgane fit irruption, le visage défait et baigné de larmes, les vêtements en
désordre. Elle se précipita vers Uryen, tomba à ses genoux et se mit à sangloter.
Uryen, très étonné, lui demanda ce qu’elle avait. Alors, sans se troubler, devant
Arthur et Kaï, Morgane raconta comment Lanval l’avait priée d’amour et comment,
parce qu’elle l’avait éconduit, il l’avait injuriée et avilie sans aucune
mesure. Et elle ajouta que Lanval s’était vanté d’avoir une amie si sage et si
belle que mieux valait sa chambrière, la moindre qui la servait, qu’une seule
dame de la cour, la reine Guenièvre et elle-même en particulier.
Le roi Uryen entra dans une violente colère, menaçant de
faire tuer l’insolent sur-le-champ, car un tel crime ne pouvait rester impuni. Mais
le roi Arthur, avec sagesse, intervint en
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