La fée Morgane
Là, elles leur servirent en abondance les mets les plus fins
qu’ils pussent désirer, et leur versèrent les vins les meilleurs qu’ils eussent
jamais bus. Arthur et ses deux compagnons s’émerveillaient de plus en plus, mais
ils ne cherchaient même pas à comprendre ce qui leur arrivait. Ils avaient faim
et soif et profitaient largement de ce repas inattendu. Puis, quand ils eurent
terminé, les jeunes filles les menèrent chacun dans une chambre bien fournie et
garnie de tentures. Ils se couchèrent, et ils étaient tant fatigués par les
aventures de la journée qu’ils s’endormirent aussitôt.
Le lendemain matin, quand le roi Uryen se réveilla, il n’en
crut pas ses yeux : devant lui se tenait Morgane. « Que fais-tu là ? »
demanda-t-il. Elle parut étonnée de sa question. « Il me semble, dit-elle,
que c’est normal de me trouver là, à ton réveil, dans ton propre logis. – Mais,
où sommes-nous ? – Où veux-tu que nous soyons ? À Carduel, bien sûr.
– Mais, comment suis-je arrivé ici ? » Morgane éclata de rire :
« Décidément, dit-elle, j’ai l’impression que tu es mal réveillé ! Il
est vrai qu’hier soir, lorsque tu es rentré de la chasse, tu paraissais fourbu.
Tu t’es même couché sans dîner, et sans dire une parole. » Uryen demeurait
songeur : se pouvait-il qu’il eût rêvé l’errance de la veille et le séjour
sur le navire ? « Mais où sont donc le roi Arthur et Accolon de Gaule ? »
demanda-t-il encore. Morgane haussa les épaules. « Je n’en sais rien, dit-elle,
mais je suppose qu’ils sont en leur logis. »
Mais le roi Arthur n’était pas dans son palais de Carduel. Il
venait de se réveiller dans une cave obscure et froide, à peine éclairée par
une fenêtre munie d’épais barreaux. « Où suis-je ? » se
demanda-t-il. Il se leva et se dirigea vers la porte. Mais celle-ci était
fermée. C’est alors qu’il entendit une sorte de plainte, quelque chose comme
des lamentations qui provenaient d’une pièce voisine. « Qui donc se plaint
et gémit ainsi ? » s’écria-t-il d’une voix forte. Les gémissements
cessèrent et une voix étouffée lui répondit : « Nous sommes vingt
chevaliers prisonniers, et certains d’entre nous le sont depuis près de sept
ans. – Mais pour quelle raison ? demanda Arthur.
— Nous allons te le dire. Apprends donc que le seigneur
de cette forteresse se nomme Damas et que c’est le plus faux, le plus traître
et le plus couard de tous les chevaliers de ce pays. Il a un frère plus jeune
que lui, qui porte le nom d’Onslak, et qu’il a privé de son héritage, ne lui
laissant qu’un petit manoir où il vit pauvrement. Son frère lui a réclamé son
dû, mais Damas ne veut rien entendre. Alors, Onslak, pour mettre un terme à la
querelle, lui a proposé de tout régler par un combat singulier. Damas a accepté,
et la rencontre est prévue pour demain. Mais Damas est trop lâche pour
combattre lui-même : il a donc cherché un champion pour s’opposer à son
frère qui, au contraire, est un brave et valeureux chevalier. Or, comme tout le
monde connaît la lâcheté de Damas et l’injustice qu’il a commise envers Onslak,
personne n’a voulu servir sa cause. Et c’est pourquoi nous sommes ici : ne
pouvant obtenir un champion de son plein gré, il a fait en sorte de s’en
procurer par la force. Il s’est informé sur les meilleurs chevaliers du pays et
il les a fait enfermer dans cette prison où nous mourons de faim. Il nous a
posé ses conditions : si l’un d’entre nous combat pour lui, il libérera
tous les autres. Mais nous ne voulons pas combattre pour ce fourbe. D’ailleurs,
même si nous le voulions, nous ne pourrions pas, car nous sommes trop faibles
et nous tenons à peine sur nos jambes. – Seigneurs, dit Arthur, ayez confiance.
Dieu vous délivrera. »
Peu de temps après, la porte s’ouvrit et une jeune fille
entra dans la chambre. « Qu’en est-il de toi ? demanda-t-elle. – Ma
foi, répondit le roi, je ne sais quoi en penser. – Seigneur, dit-elle, je vais
te dire comment tu pourras quitter cette prison : combats pour le maître
de cette forteresse. Si tu refuses, tu risques de demeurer ici toute ta vie. – J’aime
mieux mourir dans un combat en luttant contre un chevalier plutôt que de mourir
dans cette prison. Et si je peux, par la même occasion, délivrer les autres
prisonniers qui sont ici, j’accepte de combattre pour ton maître. –
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