La fée Morgane
poèmes :
c’était bien, de toutes les cours que Pwyll avait visitées en ce monde, la
mieux pourvue de nourritures, de breuvages délicats, de vaisselle d’or et d’argent,
de bijoux royaux. Et lorsque le moment du coucher fut arrivé, la reine et
lui-même allèrent au lit.
Il eut alors un moment d’angoisse : comment allait-il
se comporter vis-à-vis de cette femme, qui était si belle, si noble et si
désirable, mais qui était l’épouse d’un homme à qui il avait donné son amitié sans restriction ? Mais la sagesse de
Pwyll était grande, aussi grande que sa fidélité à la parole donnée. Aussitôt
qu’ils furent au lit, il tourna le dos à la femme et resta le visage fixé vers
le bord du lit, sans lui dire un seul mot jusqu’au matin. Le lendemain, il n’y
eut entre eux que gaieté et aimable conversation. Et quelle que fût leur
affection pendant le jour, il ne se comporta pas une seule nuit autrement que
la première. Quant à son temps, il le passa en chasses, chants, danses, festins,
relations aimables et conversations courtoises.
Arriva le jour où il devait rencontrer celui qui prétendait
dominer tout le pays. Cette rencontre, il n’y avait pas un homme, même dans les
contrées les plus reculées du royaume, qui ne l’eût présente à l’esprit. Pwyll
s’y rendit donc avec les gentilshommes de ce qui était provisoirement son
domaine. Dès qu’ils furent arrivés au lieu fixé, c’est-à-dire sur le gué d’une
rivière qui coulait abondamment, un chevalier se leva et parla ainsi :
« Nobles compagnons, écoutez-moi bien. Il ne s’agit pas ici d’une joute, mais
d’une lutte entre deux rois, entre leurs deux corps seulement, et nous n’avons
aucun droit à nous immiscer dans cette affaire. Chacun de ces rois réclame à l’autre
terres et domaines. Vous avez donc le devoir de ne prendre parti ni pour l’un
ni pour l’autre. À cette seule condition, vous pouvez assister à la rencontre. »
Les deux rois s’avancèrent l’un vers l’autre, au milieu du
gué et, sans perdre de temps, ils en vinrent aux mains. Au premier choc, celui
qu’on prenait pour Arawn atteignit Hafgan au milieu de son bouclier, si bien qu’il
le fendit en deux, brisa l’armure et lança Hafgan sur les cailloux, de toute la
longueur de son bras et de sa lance, par-dessus la croupe de son cheval, mortellement
blessé. « Ah, prince ! s’écria Hafgan, quel droit avais-tu à ma mort ?
Je ne te réclamais rien. À ma connaissance, tu n’avais aucun motif de me tuer. Au
nom de Dieu, puisque tu as commencé, achève-moi ! – Prince, répondit celui
qui avait le visage d’Arawn, il se peut que je me repente de ce que j’ai fait, mais
je ne t’achèverai pas. Cherche toi-même quelqu’un qui daigne accepter de te
tuer. Pour ma part, c’est un acte que je jugerais lâche et déshonorant, car on
ne frappe pas un homme blessé qui gît à terre. » Hafgan harangua ceux qui
étaient venus avec lui : « Mes nobles fidèles, dit-il, emportez-moi
hors de ce lieu maudit. C’en est fait de moi à présent, et je ne suis plus en
état d’assurer plus longtemps votre sort. » Sans plus attendre, les nobles
sortirent Hafgan du gué, l’allongèrent sur une civière et l’emportèrent loin de
là.
Pwyll revint vers les siens. « Nobles compagnons, dit-il,
informez-vous et sachez absolument quels doivent être mes vassaux. – Seigneur, répondirent-ils,
tous ceux de ce pays doivent être tes vassaux, il ne peut y avoir aucune
discussion sur le sujet. Il est bien certain qu’il ne peut y avoir qu’un seul
roi en Announ, et ce roi, c’est toi. – Eh bien, dit Pwyll, il est juste d’accueillir
ceux qui se montreront fidèles vassaux. Quant à ceux qui ne voudront pas venir
de leur plein gré, qu’on les y oblige par la force des armes. » Il reçut
immédiatement l’hommage des vassaux et commença à prendre possession de l’ensemble
du pays. Vers le milieu du jour, le lendemain, les deux parties du royaume
étaient en son pouvoir.
Quand l’année se fut écoulée, il partit tout seul, un matin,
sans se faire remarquer, et, après avoir chevauché une partie de la matinée, il
arriva au Vallon rouge. Il y retrouva Arawn qui l’attendait, et chacun d’eux
fit à l’autre l’accueil le plus cordial et le plus chaleureux qui fût. « Que
Dieu te donne joie et bonheur, dit Arawn, car tu t’es conduit en véritable ami.
Cela, je le sais, et j’ai appris comment tu avais
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