La fée Morgane
requête et de m’adresser la parole. Sans doute n’étais-je
pas une jeune fille digne de leurs ambitions. Le seul qui fit exception, ce
jour-là, ce fut toi, Yvain, fils du roi Uryen. Tu daignas m’écouter, tu fis
droit à ma requête et tu fis en sorte que le roi Arthur donnât raison à ma dame.
Je te rendrai donc l’honneur que tu me fis ce jour-là. Si tu avais une amie, tu
serais le meilleur des amis pour elle. Si tu avais une maîtresse, il n’y aurait
pas de meilleur amant que toi. Aussi ferai-je tout ce que je pourrai pour te
tirer d’affaire.
— Mais, qui es-tu donc ? » demanda Yvain. La
jeune fille répondit : « On m’appelle Luned, et je suis la suivante
attitrée de la dame qui possède cette forteresse. Elle, on la nomme Laudine, et
son mari, celui que tu as blessé à mort, porte le nom d’Esclados le Roux. Peut-être
ne le savais-tu pas. Il est le gardien de la fontaine qui bout, bien que plus
froide que le marbre et, chaque fois qu’un intrus provoque la tempête, il va
pour le combattre. Généralement, il le blesse ou le tue. Mais, cette fois, je
pense qu’il a trouvé plus fort que lui. – Je ne savais rien de tout cela, dit
Yvain. J’ai seulement appris qu’il y avait une épreuve et j’ai voulu la tenter.
– Cela prouve ton audace et ton courage, dit Luned. Mais pour le moment, il
convient de te sortir de la situation périlleuse qui est tienne. Écoute-moi
bien : tu vas prendre cet anneau et le mettre à ton doigt. Tu tourneras le
chaton à l’intérieur de ta main et fermeras la main dessus. Tant que tu le
cacheras, il te cachera toi-même en ce sens que personne ne pourra soupçonner
ta présence. Tu seras aussi invisible que l’aubier recouvert de son écorce.
« Lorsqu’ils seront tous revenus à eux, les gens d’Esclados
le Roux, accourront ici, sachant très bien que tu y es prisonnier, et ils te
livreront au supplice pour avoir tué leur seigneur et maître. Ils seront fort
irrités quand ils s’apercevront que tu n’es plus là, mais ils penseront que tu
as pu t’échapper grâce à quelque sorcellerie. Ils ouvriront les portes et tu en
profiteras pour te glisser à l’intérieur de la cour. Moi, je serai sur le montoir
de pierre, là-bas, à t’attendre. Tu me verras, mais moi, je ne pourrai te voir
puisque tu seras invisible. Accours en hâte vers moi et mets ta main sur mon
épaule. Ainsi saurai-je que tu es là. Alors, tu me suivras où j’irai. »
Sur ce, la jeune fille s’éclipsa et rentra dans la maison qu’elle avait quittée.
Yvain se tint tranquille dans un recoin, entendant le grand
tapage que faisaient les gens de l’autre côté de la porte. Puis celle-ci s’ouvrit
et des hommes en armes se précipitèrent dans le but évident de s’emparer de lui.
Mais ils eurent beau chercher, ils ne trouvèrent que la moitié du cheval, une
partie de la selle et les éperons. Fort étonnés, ils ouvrirent alors la porte
qui donnait sur l’extérieur, mais ils n’eurent pas plus de succès, ce qui les
rendit furieux. Comme ils s’agitaient en tous sens, Yvain se glissa prudemment
entre eux, sortit dans la cour, s’approcha du montoir et mit la main sur l’épaule
de la jeune fille. Aussitôt, elle se mit en marche et Yvain la suivit. Arrivés
à la porte d’une grande et belle chambre, elle l’ouvrit et ils entrèrent après
avoir refermé soigneusement derrière eux. Yvain regarda autour de lui. Il n’y
avait pas un clou qui ne fût peint de riches couleurs, pas un panneau qui ne
fût décoré de diverses figures dorées. La jeune fille qui avait dit se nommer
Luned alluma un feu, prit un bassin d’argent rempli d’eau et, une serviette de
fine toile blanche sur l’épaule, elle offrit l’eau à Yvain pour qu’il se lavât.
Celui-ci fut bien aise de pouvoir se rafraîchir, tant il avait souffert pendant
le combat qu’il avait mené contre Esclados le Roux.
Ensuite, elle plaça devant lui une table d’argent doré, couverte
d’une nappe de fine toile jaune, et lui apporta à souper. Il n’y avait pas de
mets connus d’Yvain dont il ne vît là abondance, avec cette différence que ceux
qu’on lui présentait étaient beaucoup mieux préparés qu’ailleurs et excellents.
Il n’y avait pas un vase de service qui ne fût d’or ou d’argent. Yvain mangea
et but jusqu’à une heure avancée : il avait besoin de se réconforter après
tant de fatigues. Ils entendirent alors de grands cris venir du château, et
Yvain
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