La fée Morgane
rejoindre
mon seigneur ! – Le rejoindre ? Dieu t’en garde ! Qu’il te rende
plutôt un aussi bon seigneur, aussi capable que celui qui n’est plus. – Comment
oses-tu prononcer d’aussi abominables paroles ? Tu sais bien que Dieu, même
dans son infinie bonté, ne pourra jamais me donner un aussi bon mari ! – Il
t’en rendra un meilleur, si tu veux le prendre, et je m’engage à te le prouver ! »
La dame se leva et s’écria fort en colère : « Assez de stupidités !
Par Dieu tout-puissant, s’il ne me répugnait pas de faire périr une jeune fille
que j’ai élevée et à qui j’ai donné tant d’affection, je te ferais mettre à
mort sur-le-champ, pour faire en ma présence des comparaisons aussi insensées
et criminelles ! Sors d’ici, et que je ne te revoie plus ! – Je pars,
dame, puisque vous le voulez. Mais honte à la première d’entre nous qui enverra
chercher l’autre, moi pour solliciter une invitation et toi pour la demander ! »
Et Luned quitta la chambre en claquant la porte.
Elle retourna auprès d’Yvain et lui demanda s’il avait
besoin de quelque chose. « Par Dieu ! répondit-il, une seule chose me
manque, et tu ne pourras jamais me la procurer ! Depuis que j’ai vu ta
maîtresse, mon esprit ne peut plus se détacher d’elle. » Luned sourit :
« Laisse-moi faire, dit-elle, tu ne le regretteras pas. – Mais qui es-tu, en
réalité ? demanda Yvain. Une sorcière, une fée, une intrigante ? Le
fait que tu m’aies donné un anneau qui me permet d’être invisible m’incite à penser
que tu es une sorcière. – Ne te pose pas tant de questions, répliqua Luned, cela
n’en vaut pas la peine. Sache seulement que je suis restée longtemps en
compagnie de Morgane, la sœur du roi Arthur, et que j’ai appris d’elle comment
redresser des situations périlleuses. Fie-toi à moi, et prends bien garde de ne
jamais sortir de cette chambre tant que je ne t’y aurai pas invité. » Sur
ces mots, elle sortit et, sans tenir compte de la défense que lui avait faite
la Dame de la Fontaine, elle alla la rejoindre.
« Ah ! te voilà revenue ! dit Laudine. Tu
oses donc enfreindre mes interdictions ! – Dame, je sais qu’au fond de
toi-même tu es heureuse que je sois ici. – Peut-être, mais je dois constater que
tu as bien mauvais caractère. Je n’aime pas qu’on claque la porte quand on sort
de ma chambre ! – Si ce n’est que cela, je promets de ne plus le faire à l’avenir.
Mais si tu veux que je retrouve ma bonne humeur, il te faut m’écouter. – Eh
bien, soit, parle. Qu’as-tu donc à me dire ? – C’est très simple, répondit
Luned, je voudrais te demander si toute prouesse est morte avec ton seigneur ?
Je peux te prouver qu’il existe, de par le monde, cent chevaliers aussi preux
que ton mari défunt, et peut-être même meilleurs que lui – Que le Ciel te
confonde, Luned, et si tu n’as que cela à me dire, tu ferais mieux de t’en
aller ! – Non, dame, je n’en ai pas fini. Tu vas me répondre très
franchement : quand deux chevaliers s’affrontent en combat singulier, lequel
penses-tu être le meilleur ? Le vainqueur ou le vaincu ? – M’est avis
que tu me tends un piège ! – Voyons, tu es assez avisée pour savoir quelle
est la meilleure réponse. La mienne est précise : je donne le prix au
vainqueur. Et toi ? – Mais tu es donc le diable ! s’écria Laudine. Je
ne veux plus t’entendre. Va-t’en ! » Luned sortit, mais prit soin de
refermer la porte très doucement, en restant sur le seuil un long moment, immobile.
Entendant la dame pleurer et soupirer, elle eut un sourire satisfait et partit
rejoindre Yvain dans la chambre où celui-ci avait fini par s’endormir.
Quant à Laudine, elle fut en grande peine toute la nuit. Elle
savait bien que Luned avait raison et que de deux chevaliers qui se battent en
combat singulier, le vainqueur est nécessairement meilleur que le vaincu. De
plus, elle craignait fort pour son domaine. Chaque fois qu’un intrus versait de
l’eau sur le perron de la fontaine, la tempête ravageait les bois et les champs,
et il fallait absolument s’opposer à tout nouvel arrivant. Jusqu’à présent, Esclados
le Roux avait mis toute son expérience à défendre la fontaine et le domaine, mais
maintenant, il était mort, et la fontaine était sans gardien. Qui pourrait donc
accomplir cette mission ? Elle savait bien aussi qu’aucun de ses gens
portant lance ou épée
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