La fée Morgane
prendre ma
défense. Fais en sorte de le servir le mieux possible. Qu’il ne manque de rien
et qu’on lui permette de se remettre de ses fatigues sans l’accabler de
questions. S’il était dans cet état, c’est qu’il devait avoir des raisons, et
ces raisons ne sont qu’à lui-même. Sois discrète avec lui. »
La jeune fille prit congé de la dame et s’en alla retrouver
Yvain, en compagnie de quelques servantes habiles et dévouées. Elle ordonna qu’on
pourvût le chevalier de nourriture et de boisson en abondance, qu’on
entretienne un feu en permanence dans sa chambre et qu’il pût se baigner
souvent, et cela jusqu’à son rétablissement complet. Yvain mangea et but, se
baigna abondamment et dormit paisiblement. Les poils qui recouvraient son corps
s’en allèrent par touffes épaisses. Cela dura une quinzaine de jours, et sa
peau devint plus blanche qu’elle ne l’avait jamais été. Alors, on le rasa et on
le peigna soigneusement. Il avait enfin retrouvé toute son allure et sa
prestance.
Un jour, Yvain entendit un grand tumulte dans le château, et
un grand bruit d’armes à l’extérieur. Il demanda à la jeune fille ce qui se
passait. « C’est le comte dont je t’ai déjà parlé, répondit-elle. Le voici
qui, pour intimider ma dame, lance une attaque contre le château, à la tête d’une
puissante troupe d’hommes en armes. Il espère que ma maîtresse va se rendre, qu’il
l’épousera de force et qu’il possédera ainsi l’ensemble de ses domaines. »
Yvain demanda si la Dame de Noiroson avait des armes et des chevaux. « Oui,
dit-elle, les meilleures armes qui soient et les chevaux les plus rapides qu’on
ait jamais vus. – Irais-tu lui demander de me prêter un cheval et des armes
afin que je puisse aller voir de près ce qu’il en est de cette attaque ? –
Volontiers, seigneur, dit-elle, j’y vais immédiatement. » La Dame de Noiroson
fut tout heureuse en apprenant les intentions d’Yvain. « Fournis-lui tout
ce qu’il demande, dit-elle à sa suivante. Nous avons bien besoin de son aide si
nous voulons résister à ce maudit comte Allier. Et dis-lui bien que ces armes
et ce cheval, je ne les lui prête pas. Je les lui donne. Il n’en a sans doute
jamais eu de pareils en sa possession. J’aime mieux qu’il les prenne plutôt que
de les voir la proie de mes ennemis. De toute façon, au point où nous en sommes,
je n’ai plus rien à perdre ! »
On amena à Yvain un magnifique cheval gascon noir, parfait, portant
une selle de hêtre, ainsi qu’une armure complète pour cheval et cavalier. Yvain
revêtit son armure, monta en selle et sortit avec deux écuyers. En arrivant
devant la troupe du comte Allier, ils virent des hommes en grand nombre, au
milieu desquels il était difficile de distinguer qui que ce fût. Yvain demanda
aux écuyers où se trouvait le comte. « Là-bas, à l’endroit où tu vois
quatre étendards jaunes. Il en a deux devant lui et deux derrière lui. – Très
bien, dit Yvain. Maintenant, retournez sur vos pas et attendez-moi près de l’entrée
du château. » Les écuyers s’en retournèrent et Yvain poussa en avant jusqu’à
ce qu’il rencontrât le comte. Sans plus attendre, il le provoqua, fonça sur lui,
l’enleva de sa selle, le plaça entre lui et son arçon de devant, et tourna
bride vers le château. En dépit de toutes les difficultés, malgré les hommes d’armes
qui voulaient l’empêcher de passer, il arriva au portail avec le comte, auprès
des écuyers. Ils entrèrent et l’on referma les portes après eux. La Dame de
Noiroson se trouvait dans la cour auprès du montoir. C’est vers elle que se
dirigea Yvain et, aussitôt, il lâcha le comte Allier qui s’affala sur le sol
devant celle qu’il avait voulu combattre. « Dame ! s’écria Yvain, voici
l’équivalent de l’onguent avec lequel tu m’as guéri de ma folie ! »
Les hommes du comte tendirent leurs pavillons autour du
château, mais ils savaient que leur maître était prisonnier, et ils ne
tentèrent aucune attaque, préférant attendre la suite des événements. Yvain
avait relevé le comte, et celui-ci s’était incliné devant la Dame de Noiroson, lui
demandant son pardon pour l’avoir importunée de si longs mois et pour s’être emparé
de ses terres. Il assura la dame, par un serment solennel, qu’il accomplirait
sa volonté et toutes ses exigences. Il jura de maintenir la paix, de réparer
tous les dégâts qu’il avait
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