La fée Morgane
Cependant, le sénéchal
parvint à se relever et vint à la rescousse : les trois accusateurs se
précipitèrent alors ensemble sur Yvain, et celui-ci reçut quelques blessures
qui le mirent mal en point.
C’est alors que le lion qui, jusque-là, avait regardé le
combat en demeurant immobile, comprit que son maître était en danger. Il poussa
un rugissement de colère et bondit, assaillant avec une telle rage le sénéchal
que, du premier coup, il lui déchira son haubert et lui déchiqueta l’épaule. Le
sénéchal tomba pour ne plus se relever. Les deux autres se ruèrent sur Yvain, bien
décidés à lui faire payer cher la mort de leur compagnon. Mais, là encore, le
lion bondit sur les deux félons. Ils reculèrent et attaquèrent l’animal, tandis
qu’Yvain se précipitait à son tour afin de les pourfendre de son épée. Comprenant
que tout était perdu, ils eurent la sagesse de demander leur grâce, ce qu’Yvain
leur octroya volontiers. Peu lui importait le sort de ces deux hommes, puisqu’il
avait réussi, malgré les blessures qu’il avait reçues, à justifier Luned. On
libéra celle-ci et on chanta les louanges du courageux chevalier qui avait pris
sa défense. Mais quand on le chercha pour l’inviter, de la part de la Dame de
la Fontaine, à venir se reposer dans la forteresse de Landuc, on ne le trouva
point. Il avait profité du tumulte qui avait suivi sa victoire pour disparaître
dans la forêt avec son lion.
Mais Yvain souffrait de ses blessures, et le lion avait été
lui aussi atteint en plusieurs endroits. Tous deux eurent grande peine à
poursuivre leur route. Au moment où la nuit allait tomber, ils arrivèrent
devant une forteresse dont la porte était déjà fermée. Yvain appela. Le portier
lui ouvrit et prit son cheval par les rênes : « Seigneur, dit-il, tu
parais mal en point. Sois assuré que nous te procurerons l’hospitalité dont tu
as besoin. – Volontiers, bel ami, répondit Yvain, car je ne pourrai pas
continuer longtemps à cheminer ainsi. » On les fit entrer, lui et son lion.
On mit son cheval à l’écurie, on le désarma, et on avertit le seigneur de la
maison qui vint aussitôt à sa rencontre, accompagné de son épouse et de ses
filles. Ils l’accueillirent avec empressement, le menèrent dans une chambre
tranquille et, par bienséance, logèrent le lion avec lui. Deux des filles du
seigneur, qui étaient expertes en médecine et en chirurgie, s’employèrent à les
soigner de leur mieux. Yvain et son lion séjournèrent là autant de jours qu’il
fallut pour qu’ils fussent rétablis de leurs blessures.
Mais si son corps était guéri, l’esprit d’Yvain était loin d’avoir
retrouvé la paix. Il ne cessait de penser à la Dame de la Fontaine. Son amour
était sans remède puisque c’était sa dame elle-même qui l’avait chassé de sa
vue. Pourtant, au fond de lui-même, renaissait un vague espoir. Il décida de retourner
à la fontaine et d’y soulever de telles tourmentes que, par force et par
nécessité, Laudine de Landuc serait contrainte de conclure la paix avec lui. Il
prit donc congé de ceux qui l’avaient si courtoisement hébergé et se dirigea
vers la forêt où se trouvaient la clairière, la fontaine, le pin et la petite
chapelle.
Mais il se trompa de chemin et s’égara sur une grande lande
dont il ne voyait pas l’issue. Il parvint ainsi jusqu’à un grand ravin
impossible à franchir tant les pentes en étaient rudes et tant la végétation qu’il
y avait au fond était dense et ténébreuse. Il décida de suivre le ravin jusqu’à
ce qu’il pût trouver le moyen de le franchir. Au bout d’un certain temps, il
aperçut la masse imposante d’une forteresse qui jaillissait des broussailles. Comme
le soir tombait, il se dit qu’il pourrait être hébergé en cet endroit, et il
alla dans cette direction. Mais, plus il marchait, plus la forteresse lui
semblait lointaine. Il atteignit alors un petit bois où il rencontra un
bûcheron qui, ayant fini de couper des arbres, se préparait à rentrer chez lui.
Il lui demanda quelle était la forteresse qu’on voyait à l’horizon et quel
était le plus court chemin pour y accéder. « Ce n’est pas difficile, seigneur,
répondit le bûcheron ; il suffit de traverser le ravin par le sentier que
tu aperçois sur la gauche, à la sortie du bois. Mais je te déconseille d’y
aller, car il y a bien longtemps que cette forteresse est possédée par les
démons. Tous ceux qui
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