La fée Morgane
hanche et lui trancha les muscles des
fesses. Le géant se sentit gravement blessé, mais il se dégagea en beuglant
comme un taureau. Levant son pieu à deux mains, il voulut en finir avec le lion
et le frapper, mais il manqua son coup, le lion ayant fait un bond en arrière
qui le mit hors de portée. Pendant ce temps, Yvain, qui avait récupéré, brandit
de nouveau son épée et, sans que l’autre y prît garde, en deux coups, lui
détacha l’épaule du tronc. Le géant tomba en poussant un hurlement, avec le
fracas d’un chêne qu’on abat dans la forêt. Après quoi, Yvain, calmement, coupa
la tête de Harpin de la Montagne.
Des acclamations saluèrent la victoire d’Yvain sur le
monstre. On délia les deux jeunes gens qui se précipitèrent aux genoux de leur
sauveur. Le comte pleurait et ne savait comment remercier son hôte. Sa fille
bénissait Dieu de leur avoir envoyé ce chevalier inconnu qui les avait sauvés d’un
terrible péril. Enfin, le comte demanda à Yvain : « Qui es-tu donc, chevalier ?
Dis-le-moi afin que je puisse répandre ton nom à travers le monde. » Yvain
s’essuya le visage avec un linge qu’un valet lui tendait, et répondit :
« Si on t’interroge sur celui qui a vaincu Harpin de la Montagne et a
délivré tes deux fils, tu répondras que c’était le
Chevalier au Lion . Tel est le nom que je désire porter. Maintenant, je
dois prendre congé car, avant midi, j’aurai encore rude besogne à accomplir ! »
Le comte et les siens le pressèrent de rester encore un moment
avec eux. « Si je le voulais, je ne le pourrais pas, car j’ai donné ma
parole de défendre une jeune fille que l’on accuse injustement. Mais je n’oublierai
jamais votre accueil alors que vous étiez dans la peine et l’affliction. »
Le comte voulut le faire accompagner par des hommes à lui, Yvain refusa tout
net. Il remonta en selle et, après avoir salué comme il convenait ses hôtes, il
s’éloigna au grand galop avec la seule compagnie de son lion.
Il ne fut pas long à retrouver la clairière où se trouvaient
la fontaine, le pin et la petite chapelle. Il vit qu’on avait allumé un grand
feu. Deux valets bruns, aux cheveux frisés, amenaient la jeune fille qu’on
avait sortie de sa prison, et ils la conduisaient vers le bûcher, les mains
liées et toute nue en sa chemise. Yvain arriva au moment où ils allaient la
jeter dans les flammes. « Arrêtez ! » cria-t-il. Chacun s’immobilisa.
Il descendit de cheval et s’avança vers un groupe d’hommes, leur demandant ce
qui se passait et pourquoi on allait brûler la jeune fille. Ils racontèrent
leur différend comme l’avait raconté Luned, la nuit précédente. Et ils
ajoutèrent : « Yvain, le fils d’Uryen, lui a fait défaut, et c’est pourquoi
nous allons la brûler. – En vérité, Yvain était un bon chevalier, et je serais
bien étonné, s’il savait cette jeune fille dans cet embarras, qu’il ne vînt pas
la défendre. – Peut-être, dirent-ils, mais en tout cas, il ne s’est pas
présenté. – Nul ne sait où il se trouve, dit encore Yvain. Alors, si vous me le
permettez, je prendrai sa place et j’irai me battre contre vous. – Par Celui
qui nous a créés, nous acceptons, mais sache que tu devras te battre contre
trois. – C’est entendu », répondit Yvain. Il remonta en selle et se
prépara au combat. Le lion suivit son maître, comme s’il avait l’intention de
le protéger. « Chevalier, dirent les trois accusateurs, il est convenu que
nous nous battons contre toi, mais il n’a jamais été question de ce lion !
– C’est juste », répondit Yvain. Et il ordonna au lion de reculer et de se
tenir tranquille. Le lion obéit, mais il était visible qu’il guettait tous les
mouvements de son maître.
Les trois chevaliers attaquèrent les premiers. Yvain s’avança
au pas, car il ne voulait pas lâcher la bride. Il leva son bouclier et les laissa
briser leurs lances tandis que la sienne demeurait intacte. Alors, il recula de
la distance d’un arpent et, brusquement, avec la rapidité de la foudre, se
précipita sur ses adversaires. Il atteignit le sénéchal de sa lance et le fit
basculer à terre. Le coup avait été si violent que le sénéchal resta allongé
sur le sol un long moment, sans pouvoir riposter de quelque manière que ce fût.
Les deux autres accoururent alors en brandissant leurs épées. Yvain réussit à
parer leurs coups, et lui-même les blessa rudement.
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