La fée Morgane
à sa guise. Néanmoins, il doit s’acquitter de son
devoir envers les douze autres. – Et s’il ne marie pas les douze jeunes filles,
chacune selon son rang, la honte sera pour lui et le dommage pour celles qui
ont eu confiance en lui ? – Tu as fort bien compris ce qu’il en est. Mais
rassure-toi, seigneur. Tu peux prendre conseil des plus sages parmi ceux de ma
cour. Personne ne t’en tiendra rigueur. Cela dit, choisis toi-même celle qui te
semble la plus belle et la plus digne de toi. – Roi, répondit Bohort, j’ai
entrepris la tâche de parcourir le monde et d’y acquérir honneur et gloire. Je
ne peux me marier avant de l’avoir achevée. – Celle que tu choisiras attendra
volontiers que ton entreprise soit terminée. » Bohort paraissait fort
ennuyé. « Roi, dit-il enfin, ne crois pas que ce soit par dédain, mais je
ne puis prendre femme, et je te prie de ne point t’en chagriner. »
Là-dessus, Bohort demanda à prendre conseil des sages du
royaume. Ils se présentèrent à lui et il leur posa de nombreuses questions. Alors,
selon leur avis, il attribua une jeune fille à chacun des douze champions, disant
pourtant qu’il n’attribuerait à personne celle qui lui avait donné sa robe. Quand
la fille du roi vit qu’elle n’avait pas celui qu’elle espérait, elle en fut
toute triste. Et bien qu’elle fit semblant de paraître indifférente, toutes les
autres jeunes filles s’en aperçurent, si bien qu’elles surnommèrent Bohort le « Beau
Timide ». Elles se disaient entre elles que c’était pitié qu’il n’eût
point voulu pour lui la plus belle créature. « Maudite soit l’heure où
naquit, si beau et si preux, un homme aussi timoré ! »
Cependant, la fille du roi s’approcha de la table des douze
champions. « Seigneurs, dit-elle, je vous ai servi le dernier mets. Quelle
récompense dois-je en attendre de vous tous ? – Jeune fille, répondit le
premier chevalier qui avait pour nom Callas le Petit, pour toi je ferai tant
que, pendant un an, je jouterai, ma jambe droite posée sur le cou de mon cheval,
et je t’enverrai les armes de tous ceux que j’aurai ainsi conquis. – Moi, dit
Talibur aux Dures Mains, je ferai tendre mon pavillon à l’orée de la première
forêt que je verrai, et j’y demeurerai jusqu’à ce que j’aie renversé dix
chevaliers dont je t’enverrai les chevaux. » Le troisième, qui se nommait
Alfasar, fit le serment de ne point entrer dans une forteresse avant d’avoir
vaincu dix champions. Sarduc le Blanc dit qu’il ne dormirait jamais auprès d’une
femme avant d’avoir vaincu quatre chevaliers ou de l’avoir été lui-même. Le
cinquième promit que, durant un an, il combattrait tous les chevaliers qu’ils
rencontrerait conduisant des jeunes filles, et que, s’il les vainquait, il
enverrait leurs amies servir la fille du roi. Il avait nom Mélior de l’Épine et
il était le fils d’un grand roi du Nord.
« Quant à moi, dit Angloire, qu’on avait surnommé le
Félon, je trancherai la tête à tous ceux que je combattrai cette année et, si
je ne suis pas tué, je te ferai parvenir leur tête ! – Par Dieu
tout-puissant ! s’écria la fille du roi, voilà une chose qui ne me plaît
guère. Je te dispense de ton serment ! » Ce fut au tour de Patride au
Cercle d’Or : « Je prendrai de force un baiser de toutes les jeunes
filles que je rencontrerai et qui seront en compagnie d’un chevalier, et tant
pis si je me fais battre. – Voilà également un engagement qui ne me convient
guère, dit la fille du roi. Tu ne respectes guère les femmes, à ce que je vois,
et je te dispense de l’accomplir. » Meldon l’Enjoué parla ensuite :
« Je chevaucherai durant un mois, en chemise, le heaume, en tête, le
bouclier pendu à mon cou, la lance au poing, l’épée au côté et, en tel appareil,
je jouterai contre tous ceux qui me provoqueront. – Et moi, promit Garaingant
le Fort, j’irai au Gué du Bois, je m’y installerai, et nul chevalier ne pourra
abreuver son cheval s’il ne me combat auparavant. Et je t’enverrai les boucliers
de tous ceux que je vaincrai. »
La fille du roi s’adressa aux autres. Malguin le Gallois
jura qu’il ne cesserait d’errer jusqu’à ce qu’il eût découvert la plus belle
fille du monde, qu’il s’emparerait d’elle, où qu’elle fût, et qu’il l’enverrait
servir la fille du roi Brangore. Mais Agricol le Beau Parleur s'exprima plus
courtoisement : « Je
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