La fée Morgane
Bohort de Gaunes, le
cousin de Lancelot. – Fort bien, dit Mordret, je me souviendrai de toi
désormais. Vous êtes arrivés à temps pour me délivrer, mes compagnons, car
Bélyas le Noir voulait me faire périr en me coupant la tête. J’ai tué son frère
Briadas qui voulait m’empêcher de boire à la Fontaine des deux Sycomores. J’ai
eu beau poursuivre Briadas et lui passer mon épée au travers du corps, Bélyas m’a
rejoint et m’a fait prisonnier par surprise. – Où est donc Bélyas ? demanda
Lancelot. – Je n’en sais rien, répondit Mordret. Ce château est abandonné et
Bélyas n’y vient que très rarement. J’ignore absolument où il a son logis et
ses serviteurs. – C’est bon, dit Lancelot, ne nous attardons pas ici. Nous le
retrouverons bien et nous lui ferons payer cher ses outrages. As-tu un cheval ?
– Non, répondit Mordret, Bélyas me l’a pris comme il a pris mes armes. Je n’ai
plus rien. – Tu monteras sur le cheval de mon écuyer, dit Bohort, et nous
tâcherons de te trouver des armes et une monture. »
Ils chevauchèrent jusqu’à la nuit dans la forêt immense et
mystérieuse. Quand la lune fut levée, ils arrivèrent à un petit tertre et, regardant
devant eux, ils aperçurent un cerf blanc qui courait, entouré et comme protégé
par quatre lions. Bohort et Mordret furent bien étonnés de ce spectacle ; mais
Lancelot, qui avait déjà été le témoin d’une telle scène, ne dit rien et se contenta
de regarder. Les animaux passèrent devant eux, sans même s’apercevoir de leur
présence, et s’enfoncèrent dans l’épaisseur de la forêt. Et, les trois
compagnons reprirent leur route dans l’espoir de trouver un endroit pour passer
la nuit.
C’est alors qu’ils rencontrèrent un nain monté sur une mauvaise
mule. Ils lui demandèrent s’il y avait, dans les environs, quelque maison où
ils pussent être hébergés. « Certes, dit le nain, vous n’avez qu’à me
suivre. » Et il les conduisit jusqu’à un ermitage qui était tout proche.
Les trois compagnons descendirent de leurs chevaux et, après
les avoir remisés dans la demeure de l’ermite, qui était pauvre mais vaste, ils
entrèrent dans une petite pièce et se désarmèrent. En les recommandant à Dieu, le
nain leur annonça qu’il allait partir. « Et où iras-tu donc à cette heure ?
lui demanda Lancelot. Il est bien tard pour courir les chemins ! – N’aie
aucune crainte, répondit le nain, je sais où je trouverai un bon gîte. »
Et il s’en alla à toute allure, à travers la forêt, sous les rayons de la lune,
tandis que les chevaliers prenaient soin de leurs chevaux et leur donnaient de
l’herbe à manger. L’ermite leur servit du pain, de l’eau et des fruits sauvages,
le seul régal qu’il eût à sa disposition. Fatigués, fourbus et n’ayant rien mangé
de toute la journée, ils acceptèrent ce repas avec reconnaissance et s’en
allèrent dormir sur des matelas remplis de feuilles d’arbres.
Le lendemain matin, Bohort interrogea l’ermite sur la vision
qu’ils avaient eue du cerf plus blanc que neige, qui avait au cou une chaîne d’or,
mais que semblaient protéger quatre lions qui le conduisaient avec autant d’égards
qu’un personnage sacré. « Ce n’est ni un sortilège ni une ténébreuse
sorcellerie, répondit l’ermite, mais jusqu’à présent, aucun être humain n’a été
capable d’expliquer ce mystère. Vous n’êtes pas les seuls à avoir été témoins
de ce spectacle. Les prophéties nous disent que nous ne saurons rien tant que
le Bon Chevalier, qui surpassera en vertu et en bravoure tous les chevaliers
terrestres de ce temps, ne viendra pas nous dire qui est le Cerf blanc au
collier d’or et pourquoi les lions semblent le protéger et le guider. Je ne
peux répondre autre chose. »
Ils quittèrent l’ermite après l’avoir remercié de son
accueil et reprirent leur chemin dans la forêt. Vers le milieu du jour, ils se
trouvèrent à la porte d’un petit manoir que tenait un vavasseur et celui-ci les
invita à loger chez lui. Ils acceptèrent volontiers. Ils eurent à manger et à
boire en abondance, et quand la nuit fut venue, ils allèrent se reposer dans
les chambres qu’on leur avait préparées.
Lancelot, qui avait pris peu de repos pendant la nuit, et
qui avait pensé avant tout à sa dame, la reine Guenièvre, se leva de très bon
matin et sortit de sa chambre. Les gens du logis le saluèrent et lui
souhaitèrent le
Weitere Kostenlose Bücher