La Femme Celte
de Lancelot est une attitude répressive, et la légende du Val Sans
Retour, dans cet état, représente donc nettement une attaque contre tout ce que
recouvrait la notion de féminité : c’est le thème de la Prison, thème
poétique repris depuis par de nombreux poètes, en particulier au XVI e siècle, aussi bien chez les poètes de l’École
lyonnaise que chez les poètes de la Pléiade. C’est encore l’histoire de Circé
qui transforme ses amants en pourceaux. Lancelot est donc comme Ulysse :
il refuse la soumission et dissipe ce qu’il croit être des illusions.
N’oublions pas que le nom de Circé vient de kirkos ,
le faucon tournoyeur. Circé est un oiseau de proie. Déjà Gilgamesh, dans la
grande épopée babylonienne, après avoir vaincu les géants de la montagne des
Cèdres, avait refusé l’invitation de la déesse Ischtar à s’unir à elle. Le
héros celtique irlandais Cûchulainn, lui aussi, avait repoussé la déesse
Morrigane venue s’offrir à lui, en plein cœur de la grande bataille de la Razzia de Cualngé . Car Circé, Ischtar, Morrigane ou
Morgane, c’est la Vierge qui fait peur, la Vierge qui engloutit, la
Célibataire, l’Indomptable, à la fois vierge et
putain , Mère de tous ceux qui ont été ses amants. D’où vient que le mot tyran , du grec turannos ,
désigne maintenant un despote mâle, alors que, primitivement, le mot signifiait maîtresse , alors que la déesse-mère des
Étrusques s’appelait Turan, alors que le mot lui-même vient d’une racine tur qui signifie « donner » ? La
Maîtresse est donc celle qui donne, en réalité, en dépit des apparences
trompeuses. Ulysse, Gilgamesh, Lancelot, Cûchulainn et bien d’autres n’ont rien
compris à ce que représentait la Femme-fée, ou la Femme-divine. Mais ces héros
ne sont que l’aspect symbolique d’une société entièrement dominée par les
Mâles, et qui cherche à se justifier en éliminant les traces de la Féminité.
Et surtout la société paternaliste essaie par tous les
moyens de nier le hierogamos , le mariage avec
la divinité, du moins dans le sens Amant-Déesse. Et tout cela, parce qu’encore
une fois, la société paternaliste repose sur la violence, sur l’exploitation de
l’agressivité, avec pour conséquences la guerre et la mort. On comprend alors
combien le slogan des Hippies « Faites l’Amour, pas la
guerre ! » est antisocial dans la mesure où il dénonce l’agressivité
de cette société, et la refuse catégoriquement. Le jour où les hommes voudront
devenir les fils de leurs maîtresses, ils oublieront alors que le but officiel
de l’accouplement légal (c’est le mariage) est la procréation. Il est bien
évident qu’à ce moment-là, la société sera en voie de disparition, mais
n’est-ce pas cette idée qu’on trouve dans un évangile apocryphe, dans un
passage peu connu et qui ne peut manquer de provoquer des commentaires ?
On y lit en effet une conversation ambiguë entre le Christ et Salomé. Salomé demande
au Christ combien de temps encore la Mort prévaudra. Le Christ répond :
« Aussi longtemps que vous, les femmes, porterez des enfants. Car je suis
venu détruire l’œuvre de la femelle. » Évidemment Salomé ne comprend pas
et demande des explications. Le Christ répond que ces choses arriveront
« quand vous piétinerez le vêtement de la honte, quand ce qui est deux
deviendra un, quand le mâle avec la femelle ne seront ni mâle ni femelle [178] ».
Les partisans de la répression sexuelle en concluront tout naturellement qu’il
s’agit là d’une condamnation de l’œuvre de chair. C’en est bien une en effet,
mais si l’on va au fond des choses, c’est la condamnation de l’œuvre de chair dont le but est la procréation , c’est-à-dire
entièrement vidée de son contenu instinctuel primitif.
Car, dans les traditions mythiques de tous les pays, il apparaît
que la mort est liée à la procréation : si l’être humain peut se prolonger
dans ses enfants, la mort est quasiment nécessaire, elle pratique une sélection
naturelle, en éliminant ce qui est vieux au profit de ce qui est jeune. Mais,
toujours mythiquement parlant, si l’être humain ne peut pas se prolonger dans
ses enfants, la mort n’a plus ce caractère obligatoire et l’être humain peut
être immortel. En conséquence, on peut admettre, dans les anciennes traditions
et particulièrement dans la Genèse , un concept
d’immortalité de l’être humain
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