La Femme Celte
retenu
prisonnier par suite d’une traîtrise de Méléagant, fils de Baudemagu, roi de
Gorre, il est délivré par la Demoiselle, laquelle se présente comme la fille de
Baudemagu, et donc la sœur de Méléagant ( Le Chevalier
à la Charrette , trad. Jean Frappier, p. 91-93 et 171-172).
Cette « Demoiselle à la Mule », de la même façon
qu’elle oblige Perceval à chercher le secret du Graal, de la même façon qu’elle
conduit Peredur, force Lancelot à accomplir ce qu’il ne voulait pas faire, elle
substitue sa propre volonté à la sentimentalité de Lancelot : elle est un
peu la dea ex machina de l’aventure, bien que
son rôle apparaisse comme considérablement réduit dans les textes français par
rapport à ce qu’il devait être dans la version originale celtique. D’ailleurs,
dans le même Chevalier à la Charrette , on
découvre un aveu fort intéressant, concernant à la fois l’origine celtique de
la légende de Lancelot, et la valeur de la Puissance féminine représentée par
la Vierge :
« Mais le héros de mon récit portait un
anneau à son doigt : la pierre en possédait une telle vertu qu’il était à
l’abri de n’importe quel charme, après qu’il l’avait regardée. Il met l’anneau
devant ses yeux, examine la pierre et dit : “Dame, dame, pour l’amour de
Dieu, j’aurais maintenant grand besoin de vous : si vous pouviez
m’aider !” Cette dame était une fée. D’elle il tenait l’anneau en don.
C’est elle qui l’avait élevé au temps de son enfance. Il avait en elle une foi
entière et ne doutait point qu’elle dût en tous lieux lui prêter son secours [176] . »
Ainsi, bien avant que la légende de Lancelot ne se développe
dans un contexte plus français et chrétien que celtique, il existe chez
Chrétien de Troyes, au XII e siècle, une
tradition concernant l’enfance de Lancelot élevé par une fée, c’est-à-dire par
la Dame du Lac, laquelle le protège sa vie durant. C’est ce qui sera repris
dans le Lancelot en prose , avec une sorte de
dédoublement de Viviane en Dame du Lac et pucelle Saraide. Mais le détail de
l’anneau qui empêche de succomber aux charmes maléfiques, et qui donne la
puissance de vaincre, se retrouve dans le texte gallois de Peredur . Là c’est l’Impératrice qui donne à Peredur
un anneau qui lui permet de vaincre le monstre qu’on appelle addanc ; mais elle ne donne cet anneau qu’à la
condition que Peredur lui soit soumis à jamais, preuve de plus de la dépendance
du héros vis-à-vis de la Femme de qui il détient tous ses pouvoirs.
Il est une légende concernant Morgane qui est l’illustration
de cette Potentialité de la Vierge détentrice des Pouvoirs, et à laquelle
s’oppose ce que Marcuse appelle improprement « l’Homme de Culture »,
et qui n’est en fait que le champion de la Nouvelle Société paternaliste
luttant contre les traces de l’ancienne société gynécocratique, cette légende
se trouve également dans les Romans de la Table ronde et a été localisée dans
la fameuse forêt de Brocéliande.
Le Val sans retour (roman courtois) : La fée Morgane, abandonnée par son amant Guyomard,
décide de se venger des hommes. Elle enchante le Val Périlleux de telle sorte
que tous les chevaliers infidèles à leur Dame qui passent par là restent
enfermés le reste de leur vie. Ils se trouvent dans une sorte de paradis de
rêve ; ils boivent, chantent, festoient, dansent, jouent aux échecs, mais
ils ne peuvent franchir les flancs du val qui sont gardés par des géants, des
animaux monstrueux et des barrières de flamme. Or l’enchantement ne peut être
levé que par un héros exceptionnel, un homme toujours fidèle à sa dame. Et bien
que Morgane ait tout fait pour séduire Lancelot du Lac, c’est lui qui détruit
l’enchantement et libère les chevaliers, leur démontrant que les barrières de
feu, les monstres et les géants ne sont que les produits de leur imagination.
Il s’acquiert ainsi, d’ailleurs, la haine mortelle de Morgane.
Il y a évidemment une grande différence entre le Lancelot de
cette histoire tardive et celui que nous voyons dans le Chevalier à la Charrette , comme il y a un monde
entre la Morgane primitive et la fée malveillante et jalouse. Pourtant Morgane
est bien dans son rôle de déesse-mère : elle garde les hommes dans son
sein, comme elle garderait ses fils. Car ses fils sont également ses amants [177] .
L’attitude
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