La Femme Celte
puissance communiquée à Arthur,
roi de type paternaliste, mais héritier de la souveraineté féminine, reste
seule en course. Celle qui donne l’épée à Balin ne peut être que Morgane,
puisqu’elle est l’ennemie déclarée de son frère Arthur. Or Morgane, nous
l’avons dit, c’est Modron, femme du roi Uryen dans la tradition mythologique
galloise, mais aussi mère de Mabon, le jeune fils, le jeune dieu soleil
Maponos : on retrouve ici le dieu soleil Belenos, c’est-à-dire Balin.
Si nous transposions le schéma dans un contexte grec classique,
cela nous mènerait à considérer Lêto, déesse-mère céleste (indice d’un culte sidéral), envoyant son fils Apollon (le soleil céleste)
combattre l’ancienne déesse-terre, c’est-à-dire le serpent Python de Delphes
dont l’aspect celtique est la Dame du Lac. Mais l’Apollon vainqueur du Serpent
est victime de ses propres contradictions, il en est prisonnier, d’où le thème
du soleil prisonnier, disparu dans la mythologie grecque mais reconnaissable
dans la légende celtique incorporée au récit gallois de Kulhwch et Olwen : Mabon est prisonnier et sera
délivré par Arthur. Mais il est assez surprenant de constater que Mabon est
prisonnier à Kaer Loyw (Forteresse de la Lumière), dans une prison où l’on ne
peut accéder que par voie d’eau : la Dame
du Lac à qui Balin a coupé la tête semble s’être quand même vengée de son
assassin ou soi-disant tel.
Si la Demoiselle mystérieuse qui donne l’épée à Balin ne
peut être autre que Morgane, la Dame du Lac qui a donné Escalibur à Arthur ne
peut être que Viviane (ou Niniane, ou Nimue). Mais ce qui est important dans
l’anecdote qui nous occupe, c’est qu’elle réclame la tête de Balin, ou à défaut
la tête de Morgane.
Outre que nous touchons ici au thème bien connu des Têtes
Coupées qui est une des caractéristiques de la mythologie celtique et aussi un
usage prouvé historiquement et archéologiquement, nous tombons une fois de plus
sur un souvenir d’une époque antérieure : la Femme est maîtresse non seulement
de son destin, mais du destin de l’homme sur qui ses yeux se sont portés. C’est
elle qui anime l’homme, lui infuse sa propre force, le fait agir. Nous en
trouvons une excellente illustration dans le Chevalier
à la Charrette de Chrétien de Troyes, où Lancelot est l’esclave, non
seulement de la reine Guenièvre qu’il aime, mais
aussi des autres femmes qu’il rencontre : cette constatation suffirait
d’ailleurs à réfuter toutes les théories qui ont été élaborées sur l’amour
courtois du XII e et du XIII e siècle, théories qui pèchent toutes par un
manque d’informations sur l’origine celtique des mythes utilisés et leur
signification [175] . C’est le triomphe de
la Vierge, au sens profond du mot (racine exprimant la force et l’ action ),
c’est la toute-puissance de l’Être Féminin divinisé, auquel l’homme ne peut que
se soumettre s’il veut que son action aboutisse à quelque réalité. Et
précisément dans le Chevalier à la Charrette ,
apparaît l’anecdote de la Tête réclamée par la Vierge au Chevalier :
La Fille de Baudemagu (roman courtois) : Lancelot, qui se dirige vers le Pont de l’Épée, doit
combattre un orgueilleux chevalier qui l’avait provoqué, le plaçant devant le
choix suivant : ou bien passer l’eau en barque, tranquillement mais en
risquant de payer le passage de sa tête, ou bien combattre tout de suite.
Lancelot terrasse son adversaire qui lui demande grâce. Alors, « arrive en
traversant la lande une demoiselle montée sur une mule fauve. Sans guimpe et
les cheveux flottants, elle cinglait sa bête… Nul cheval au galop n’aurait
aussi vite couru que cette mule à l’amble ». La demoiselle salue Lancelot
et lui demande un don. En vertu de l’usage celtique, Lancelot ne peut refuser.
La demoiselle, après avoir précisé qu’elle récompensera généreusement Lancelot
quand le temps se présentera, lui réclame la tête du chevalier qu’il a vaincu.
Bien entendu, Lancelot hésite, partagé entre son obligation et sa pitié envers
l’homme vaincu et désarmé. Il donne à celui-ci une seconde chance et le combat
reprend. La demoiselle crie à Lancelot de ne pas épargner son ennemi quoi qu’il
puisse dire. Finalement, Lancelot coupe la tête du vaincu et la donne à la
demoiselle qui s’en va avec son trophée. Plus tard, lorsque Lancelot est
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