La Femme Celte
important : le mythe du
Roi-Pêcheur, tel qu’il apparaît dans le Perceval de Chrétien de Troyes, dans la Quête du Graal ,
dans le Parzival de Wolfram d’Eschenbach (et
pas du tout dans le Peredur gallois). Les
différents textes présentent tous le Roi-Pêcheur, gardien du Graal, boiteux,
parce que blessé à la cuisse. Nous avons déjà dit que c’était un euphémisme et
qu’il s’agit en réalité d’une blessure aux parties sexuelles entraînant
l’impuissance du roi et par conséquent son inaptitude à la royauté. Mais comment
a-t-il reçu cette blessure ? D’après la Quête ,
le roi, voulant s’approcher trop près du Graal et étant indigne de le contempler,
aurait été frappé par une arme mystérieuse. L’explication ne tient pas, car on
y sent la volonté de justifier la lance qu’on voit apparaître dans le cortège
du Graal, lance qui saigne, et dont on ne peut comprendre le rôle sans aller
chercher au fond de la mythologie gaélique d’Irlande. D’autre part, la leçon de
morale chrétienne est trop visible : le roi était en état de péché mortel,
donc indigne de toucher le sang du Christ. Pour un peu, on serait tenté de
croire à un jeu de mots entre pécheur et pêcheur ( peccator et pescator ).
Or c’est dans le texte allemand de Wolfram que se trouve la clé, comme
d’ailleurs beaucoup d’éléments anciens curieusement conservés au milieu d’un fatras
ésotérique à la mode de l’Allemagne du XIII e siècle.
À l’analyse, on s’aperçoit qu’Amfortas a été blessé pour avoir manqué à son vœu
de chasteté [246] , et que sa complice
était Kundry la Sorcière, personnage essentiel et étrange de cette légende du
Graal, celle qui se présente parfois sous l’aspect de la Demoiselle à la Mule,
ou sous l’aspect de l’impératrice aux multiples visages, dans le Peredur gallois . Amfortas et Kundry formaient donc
un couple quasi divin, comparable à ces couples de dieux que l’on découvre dans
la statuaire antique. Or, de même qu’on peut expliquer l’évolution du culte de
la Déesse en culte du Dieu par l’intermédiaire du culte du Couple Divin (le
dieu devenant parèdre de la déesse, puis éliminant celle-ci), on peut reconstituer
la genèse de la royauté du Graal : il y avait d’abord la Déesse, gardienne
du Graal (et primitivement Graal elle-même), puis un couple roi-reine
(Pellès-Kundry ou Amfortas-Kundry correspondant au couple gallois
Pwyll-Rhiannon), enfin un roi seul, Pellès ou Amfortas. Mais il a gardé de l’ancienne situation une blessure ,
et cette blessure a été culpabilisée pour tenter d’annihiler le souvenir de
cette situation antérieure gynécocratique ou tout au moins reposant sur
l’équilibre du couple. Mais cette constatation nous conduit très loin et doit
faire l’objet d’une étude spéciale de la réalité profonde du Graal et du sens
de la Quête, et nous y reviendrons. Il suffit ici de savoir que l’union
sexuelle du Roi-Pêcheur et de Kundry constitue un blasphème dans la mesure où elle doit être refoulée dans l’inconscient parce qu’elle
rappelle une situation dangereuse et qui ne doit pas être répétée.
Souvenons-nous aussi que le mot blasphème, par l’intermédiaire du latin blasphemum , est une reconstitution théologique sur
le terme originel, lequel a donné, dans l’évolution normale et populaire, le
mot blâme . Or le tout remonte au grec βλασφεμια
qui signifie, au sens religieux, « parole qui ne doit pas être prononcée
pendant une cérémonie », et au sens profane, « calomnie, médisance,
mauvaise parole » (par opposition à
εϋφεμια, bonne parole, euphémisme).
Ainsi la révolte de la Fille-Fleur nous a conduit à examiner
différentes légendes où la femme se dresse contre l’ordre établi et blasphème. Cette Fille-Fleur, créée par l’Homme,
c’est-à-dire éduquée, conditionnée , tente
d’échapper à son créateur par différents moyens dont l’adultère semble sinon le
plus courant, du moins le plus brutalement dirigé contre l’Homme. Mais la signification
de cet adultère (réaction contre l’idée de femme-objet) l’assimile, nous
l’avons vu, à une révolte contre le Père, qu’il soit mari ou souverain. Or
cette révolte contre le Père, révolte de la fille, bien sûr, se retrouve dans
une curieuse chanson de Geste du XIII e siècle.
On sait que dans les Chansons de Geste se mêlent des éléments germaniques,
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