La Femme Celte
défend, ou plutôt même lorsqu’elle
se croit attaquée, puisque le propre de l’angoisse, c’est de se croire en
danger). Ainsi est structurée la société dirigée et représentée par Balan. La
fille de Balan veut retrouver la spontanéité de sa nature : son
affectivité la pousse à aimer Gui de Bourgogne. Peu importe à ce moment qu’il
soit l’ennemi de la nation, du peuple, du père : les amoureux sont seuls
au monde, dit-on toujours, et par conséquent ils sont néfastes pour la société parce qu’ils s’en échappent , se suffisant à
eux-mêmes. Donc Floripar nie l’existence de cette société répressive
représentée par son père, et agit comme son instinct le lui commande :
elle s’efforce de terminer la guerre, et peu lui importe que la guerre se
termine par la victoire de l’un ou de l’autre, puisque ce qu’elle veut, c’est
la paix à tout prix, qualité primordiale et nécessaire à toute société de type féminin,
la femme n’étant pas par nature une destructrice comme l’homme, mais au
contraire celle qui donne la vie, celle qui protège la vie, celle qui aime les
êtres vivants parce qu’au fond, tous les êtres vivants sont ses enfants [248] .
La révolte de la Fille-Fleur n’est pas seulement une révolte
égoïste, un caprice d’une fille qui veut se marier contre l’avis de son père,
ou le banal adultère d’une femme qui ne se satisfait pas de sa situation
conjugale. Cela va plus loin, jusqu’à la revendication essentielle de la
Femme : être en possession de toute sa personnalité, c’est-à-dire pouvoir
disposer à son gré à la fois de son intelligence (Raison) et de son affectivité
(Instinct). Pour cela elle doit envoyer aux ténèbres la défroque dont l’homme
l’a affublée et qui, telles les nattes des Chinois soumis à l’Empereur
Mandchou, est, sous l’apparence d’une belle parure, la pire des marques
d’esclavage. On ne doit jamais frapper une femme, même avec une fleur, dit-on
couramment. Mais on ne frappe jamais une femme. Pour frapper quelqu’un, il faut
que ce quelqu’un existe. Or la femme n’existe pas plus que l’image d’une fleur
sur la surface de l’eau. Elle n’est, dans la société de type paternaliste, que
la création chimérique d’un être soi-disant raisonnable qui se prend pour un
démiurge. Gwyddyon, fils de Dôn, c’est un peu nous tous. Blodeuwedd, c’est
toutes les femmes.
CHAPITRE V - Le Graal ou la quête de la femme
De tous les mythes celtiques, ou intégrés dans un contexte
celtique, le Mythe du Graal a certainement été le plus fécond quant à ses
prolongements, ses variantes, ses interprétations. On s’est servi du Graal pour
lui faire signifier tout ce que l’on voulait, aussi bien au Moyen Âge que dans
les Temps Modernes, et l’ésotérisme s’est emparé du Vase Sacré après que la Mystique
cistercienne du début du XIII e siècle eut
transformé un thème incontestablement païen en un objet ayant contenu le sang
du Christ, symbole de l’esprit divin et des richesses du paradis promis aux
hommes de bonne volonté. Il faudrait une étude considérable pour condenser les
multiples théories qui ont été émises sur ce problème du Graal, et ce n’est pas
le propos d’un ouvrage qui tente d’étudier le rôle exact de la Femme dans la
civilisation celtique, tant sur le plan sociologique que sur le plan
mythologique, ce dernier représentant l’aspect idéal du personnage féminin vu à
travers les tourbillons des croyances et des péripéties historiques.
J’ai déjà dit qu’à l’origine, le Graal et la légende qui
l’entoure me paraissaient provenir d’un thème celtique de vengeance par le sang [249] .
Cette affirmation n’était pas un postulat, mais une constatation basée sur
l’étude de l’un des textes de la légende, qui, sans être le plus ancien,
présente le plus d’éléments archaïques, le récit gallois de Peredur . Elle a été déjà mise en évidence par Joseph
Loth dans une note à sa traduction française des Mabinogion ,
et par Mary Williams dans son Essai sur la
composition du roman gallois de Peredur [250] .
Et l’on verra que, dans d’autres textes, beaucoup plus récents, des détails en
apparence incompréhensibles, qui ont survécu sans que les auteurs sachent bien
de quoi il s’agissait, ne peuvent s’expliquer que par rapport cette constatation
fondamentale. Cependant, prétendre que la quête du Graal est seulement un récit
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