La Femme Celte
de vengeance, c’est aller un peu
vite. La question essentielle est de savoir la raison de cette vengeance, en un
mot de savoir ce qui se cache derrière cette histoire embrouillée et remise au
goût de la société chrétienne des XII e et XIII e siècles.
De nombreux érudits ont mis l’accent sur l’ épreuve que constitue la quête .
Le parallèle se trouve dans tous les récits gallois ou irlandais à propos de
navigations mystérieuses ou d’expéditions dans l’Autre Monde. C’est alors qu’on
pourrait établir une comparaison avec les pratiques du Chamanisme dont nous
retrouvons, par ailleurs, beaucoup de traces dans la mythologie druidique, ou
dans ce qu’il en reste. D’autres ont insisté sur le but de la quête , et ils ont découvert une sorte d’initiation à
la royauté, à la souveraineté. D’autres enfin ont vu dans la régénération du
Pays du Graal par le Chevalier élu, une sorte de rituel de fécondité analogue
aux pratiques préhistoriques dont le souvenir est encore visible dans les
religions méditerranéennes ou nordiques. Quant à Jessie Weston, dans une série
d’ouvrages discutables mais passionnants [251] , elle a émis
l’hypothèse que les éléments du cortège du Graal avaient tous une valeur
symbolique et rituelle, et qu’en particulier, si la lance qui saigne représente
le principe masculin, le graal, c’est-à-dire la coupe, représente le principe
féminin. Ce serait donc l’union de ces deux principes qui redonnerait au pays
du Graal, dévasté et stérile, sa richesse et sa fécondité d’antan.
Le symbolisme sexuel de l’objet graal est certain : c’est une coupe, et comme telle, elle est l’image du sein
dispensant la nourriture. Mais l’analogie va plus loin : c’est un
contenant, et le contenu, dans la version christianisée, est le sang du Christ,
par conséquent il est facile d’en déduire que le Graal représente la Vierge
Marie, mère de Jésus. Et en fait, plutôt que l’image du sein, le graal-coupe
représente l’utérus de la Déesse-Mère, qui donne la vie à toutes les créatures
du Monde, à condition d’être fécondé. Or on sait que le Pays du Graal est stérile,
dévasté et qu’on attend le chevalier élu qui doit lui redonner cette fécondité
perdue. Et que dire de la blessure du Roi-Pêcheur, blessure qui atteint ses
parties viriles ? Il y a, par cette seule analogie du graal-coupe avec
l’utérus maternel, une preuve évidente de la féminité du Graal.
Mais ce n’est pas tout. Si la quête représente une descente aux enfers, une expédition dans l’Autre Monde, elle est
donc en réalité un regressus ad uterum , une
tentative pour reconstituer l’état paradisiaque qui a précédé la naissance.
Voilà un second élément en faveur de la féminité du Graal. Quant à l’épreuve
constituée par la quête dans le but de
rechercher la Souveraineté, personne ne pourra nier qu’il s’agit d’une
tentative d’approcher la féminité dans ce qu’elle a de plus pur et de plus
entier, puisque la Souveraineté, dans les mythes celtiques, est toujours
représentée par une femme.
Nous en arrivons donc à cette constatation qui est plus
qu’une hypothèse de travail : le Graal, sous quelque forme qu’il
apparaisse dans les textes, est une figuration féminine, et la quête que le chevalier entreprend pour découvrir le
Graal, est une quête de la féminité. L’étude des différentes versions de la
légende va nous permettre la constitution d’un dossier en faveur de cette opinion,
et permettra de déduire des conclusions quant au rôle exact du mythe dans la
société européenne du Haut Moyen Âge.
Le texte de base est celui du Perceval de Chrétien de Troyes. Chronologiquement, c’est le plus ancien où se trouve le
fameux « cortège du Graal », et il a été, sinon le premier, du moins
l’initiateur du développement ultérieur de la légende. Mais ce qui est
important, c’est que dans le texte de Chrétien, le graal est un nom commun désignant un objet usuel, et d’autre part que nous
ignorons tout à fait, l’auteur n’ayant pas terminé son livre, quelle pouvait
être la conclusion de l’histoire de Perceval. Ce sont les continuateurs qui ont
brodé sur le thème, en se référant d’ailleurs à des fragments de récits
celtiques qui leur étaient parvenus par des voies extrêmement diverses. Avec le
texte de Chrétien, nous avons par conséquent la matière brute du mythe
Weitere Kostenlose Bücher