La Femme Celte
dans des
textes relatifs au Graal. Dans Perlesvaux ,
récit du XII e siècle qui contient de
nombreux archaïsmes, dus pour la plupart à l’influence de l’abbaye de
Glastonbury, haut lieu du celtisme sous les Plantagenêt, il arrive une curieuse
aventure à Gauvain. Pour trouver le château du Roi-Pêcheur, il doit se procurer
une épée, celle dont on se servit pour couper la tête de saint Jean-Baptiste,
précise l’auteur [296] . Il obtient cette épée
après avoir tué un géant qui venait d’enlever le fils du roi Gurgalan. Mais il
n’a pu empêcher le géant de tuer le fils du roi. Le roi se convertit cependant
au christianisme et invite Gauvain à un festin. Or c’est le corps du malheureux
jeune homme que l’on a mis à bouillir dans un chaudron, et tous les assistants
se partagent ce bouillon très particulier [297] . Si cet épisode est le
souvenir du repas totémique primitif, il est néanmoins en rapport avec le mythe
grec de Pélops d’une part, et avec le mythe du chaudron de Brân et de Peredur,
d’autre part.
Il y a cependant encore mieux dans Perlesvaux , et cela nous ramène directement au Parzival de Wolfram d’Eschenbach ainsi qu’au Peredur gallois : car le thème de la vengeance
réapparaît, lié cette fois au thème du chaudron. N’oublions pas que chez
Wolfram, le héros avait promis à sa mère de tuer le superbe Le Hellin qui avait
attaqué sa terre et réduit ses vassaux en servitude.
La Vengeance de
Perceval (texte anglo-normand) : Lancelot vient d’apprendre à
Perceval que le Roi-Pêcheur est mort et que le Graal a disparu. Perceval
repense à sa mission primitive et venge sa mère des ennemis qui avaient attaqué
sa terre. Perceval fait décapiter douze chevaliers dont il fait couler le sang
dans un chaudron. Alors il ordonne de pendre son ennemi par les pieds au-dessus
du chaudron, la tête dans le sang, de telle sorte que celui-ci meurt étouffé et
noyé ( Perlesvaux , éd. Nize, I, 5 330 et
suiv.).
Cette fois-ci, il n’y a plus de doute : le rituel de
vengeance accompli par Perceval est exactement le rituel utilisé par les Gaulois
en l’honneur de Teutatès. Cela jette un jour assez nouveau sur la Tête baignant
dans le sang, sur le plateau présenté à Peredur, et d’une façon générale sur
toutes les têtes coupées que nous rencontrons dans les épopées irlandaises ou
galloises. En vérité c’est de la vengeance par le sang que la renaissance de la
vie peut avoir lieu, et quand on y réfléchit, le sacrifice de la messe n’est pas autre chose que la répétition rituelle du sacrifice de
Jésus qui verse son sang pour redonner la vie aux hommes. On comprend pourquoi
le Graal a été si rapidement et si facilement christianisé. Il n’y avait rien
de contradictoire.
Mais ne perdons pas de vue l’aspect féminin primitif du
Graal. C’est dans une courte histoire irlandaise que nous trouverons un lien
entre le rituel sauvage de la pendaison au-dessus du bassin, et la Déesse qui
est toujours dans l’ombre, dans cet Autre Monde qu’est le Château du Graal.
Les Aventures de Néra (Irlande) : À leur résidence de Cruachan, Ailill et Medbh demandent à ceux
qui assistent au festin d’aller mettre de l’osier au pied de l’un des prisonniers
qui se trouve dans la maison de tortures [298] . On comprend ensuite
que ce prisonnier était pendu par les pieds. Ceux qui essayent, afin de gagner
la récompense promise, reviennent très vite, car ils ont peur. Néra y va
courageusement. Le captif lui dit : « Prends-moi sur ton dos afin que
je puisse aller boire avec toi. J’avais très soif quand j’étais pendu. »
Néra accepte et porte le prisonnier dans une maison où « il y avait des
cuves pour se baigner et se laver, et un breuvage dans chacune d’elles… Alors
le captif but une gorgée dans chacun des baquets et souffla la dernière goutte
hors de ses lèvres sur les gens qui se trouvaient dans la maison, de telle
sorte qu’ils moururent tous ». Néra ramène le captif à la maison des
tortures, mais en revenant vers Cruachan, « il vit quelque chose : la
colline était brûlée devant lui et il aperçut un monceau de têtes coupées.
C’étaient celles de ses gens. Il y avait aussi des guerriers sur le tertre. Il
suivit la troupe dans les profondeurs de Cruachan ». Là, dans le sidh , on s’aperçoit de sa présence. Le roi lui
dit : « Va dans cette maison. Il y a une femme seule qui
t’accueillera. »
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