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La Femme Celte

La Femme Celte

Titel: La Femme Celte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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mondes : ces deux
mondes ne sont en effet séparés que par l’apparence : ils coexistent . Quand on pense que la Fête de la Toussaint,
au premier novembre, est la christianisation de la fête de Samain , on reste rêveur sur la permanence des traditions.
Car qu’est-ce qui témoigne le plus de l’unité essentielle des deux mondes,
celui des vivants et celui des morts, que la fête chrétienne consacrée au
souvenir des disparus, c’est-à-dire à leur présence dans la pensée des
vivants ?
    Ainsi donc Néra se trouve brusquement plongé dans l’Autre
Monde, en dehors du temps. Il croit voir la ruine de la forteresse de Cruachan.
Comme Taliesin, après avoir bu les trois gouttes du chaudron de Keridwen, il
connaît l’avenir, mais il ne le sait pas. Tout est brûlé autour de Cruachan.
N’est-ce pas là le spectacle de la Gaste Terre qui entoure le Château du Graal ? (« Peu à peu les campagnes autour
de Perceval deviennent plus désolées ; il ne découvre ni hameaux ni
cultures, mais partout des terres en friches, des herbes, séchées ; aux
vergers abandonnés, pas un arbre qui porte un fruit… »). Alors, comme
Perceval en proie au découragement, Néra suit la troupe des ombres et pénètre
dans le sidh . Le roi l’accueille : il
n’est pas question de lui faire du mal, puisqu’il a réussi l’épreuve, et probablement
aussi parce qu’il a aidé le captif. Il est admis dans l’univers du sidh . Le roi lui donne une femme. Cette fois-ci,
cela fait penser à Lancelot du Lac, accueilli et admis dans le château de
Corbénic par le Roi Pellès qui lui donne sa fille ,
Helen, la porteuse du Graal, dont il aura un fils. Est-il raisonnable de parler
de coïncidence ?
    Et la Femme de Néra procure tout à celui-ci :
affection, richesse et même gloire. C’est elle qui dirige tout dans cet univers
du sidh , car c’est elle qui demande à Néra
d’aller avertir ses gens pour qu’ils détruisent le sidh .
Cette femme semble avoir plus d’autorité que le roi, puisqu’elle décide
d’elle-même la destruction de sa propre race, ou plus exactement la destruction
de tous ceux qui ne sont pas régénérés au contact de Néra. Car au fond, elle agit
pour elle et son fils à naître : elle représente la souveraineté et la
puissance, la richesse et la fécondité (le troupeau de vaches), et Néra n’est
que son exécutant. Ainsi Néra, après la destruction du sidh , pourra réintégrer son domaine. Personne ne le
lui disputera. Il sera Roi du Graal, comme Perceval. Mais
la Reine se trouvera toujours là .
    Ce sont vraisemblablement là les éléments de la quête mystique
primitive. Il s’agit d’atteindre un état de permanence qui comporte la
résolution du dilemme vie-mort et l’abolition du temps, puisque la notion du
temps nécessite un commencement et une fin. Néra ayant réussi sa quête épique
(encore marquée dans cette histoire par l’héroïsme et par l’expédition
guerrière), il ne se trouve plus dans un monde ou dans l’autre, mais dans les
deux à la fois. Si, après la destruction du sidh par Ailill et Medbh, il revient s’installer dans le sidh ,
c’est qu’au fond rien n’a changé pour lui : l’avenir n’est que le
prolongement infini du passé, ou plutôt, le temps étant aboli, il n’y a plus ni
passé ni avenir, mais un état différent, inexplicable par les mots, un défi à
la logique traditionnelle. À l’image de la divinité qui est à la fois la Vie et
la Mort, ou qui n’est ni l’une ni l’autre, Néra se trouve dans la situation d’être
et de n’être pas. C’est le désir inconscient de l’humanité tout entière, mais
les Celtes ont peut-être été ceux que ce désir a le plus tourmentés. Même en
des temps assez rapprochés, n’était-il pas significatif d’entendre les Conteurs
du Pays Breton commencer leur récit par cette réflexion moins bizarre que
profonde : « Il y avait une fois et une fois il n’y avait pas et
cette fois-là il y avait quand mêmes [301] … »
    C’est toute une mentalité, une structure de pensée qui
s’exprime de cette manière heurtante, comme le goût des intellectuels baroques
pour le « monde à l’envers », ou le « jeu des contraires »
cher aux Surréalistes, ou encore l’œuvre de Lewis Caroll, ou encore cette manie des conteurs bretons de mélanger
systématiquement, dans un récit ou dans un poème, les temps des verbes tout en
intervertissant certains mots de la proposition

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