La Femme Celte
future, sur un
tout autre plan, et là encore, le Graal est en accord avec le Chaudron de
Brân : ceux qui ressuscitent n’ont pas la parole ,
ils appartiennent donc à l’Autre Monde.
Cela fait penser à l’une des plaques gravées du Chaudron de
Gundestrup, conservé au musée de Copenhague. Elle représente un grand
personnage qui plonge un guerrier la tête la première dans une sorte de
chaudron. De petits personnages (des guerriers) viennent au chaudron, allant de
droite à gauche, sur le plan inférieur de la représentation. D’autres guerriers
s’en vont vers la droite, partant du chaudron, sur le plan supérieur, plan
séparé du bas par un arbre horizontal dont les racines semblent plonger dans
les flancs du chaudron ; ces guerriers sont à cheval et sont guidés par un
serpent à tête de bélier. L’ensemble est assez énigmatique [292] ,
mais compte tenu de la grandeur du personnage qui plonge les guerriers dans le
chaudron, étant donné la présence du chaudron, de l’arbre (probablement l’arbre
de vie), étant donné la direction des guerriers du plan inférieur se dirigeant
vers la gauche, côté sinistre, et la direction des guerriers du plan supérieur
guidés vers la droite par un serpent à tête de bélier, symbole de vie, on peut
affirmer qu’il s’agit d’une cérémonie rituelle de résurrection analogue à celle
qui est décrite dans Branwen et dans Peredur . On pourrait d’ailleurs aller plus
loin ; nous connaissons en effet, d’après des Scolies de la Pharsale de Lucain, des détails sur le culte du dieu
gaulois Teutatès : « Mercure Teutatès est ainsi honoré chez les
Gaulois, on plonge la tête d’un homme dans un grand bassin afin qu’il y suffoque [293] . »
Il est infiniment probable qu’il y a une relation entre ce geste sacrificiel et
le rituel gravé sur le Chaudron de Gundestrup et décrit dans Branwen et Peredur .
Alors, il nous faut considérer le Roi-Pêcheur, ou le Roi du Graal, comme le
même personnage que Teutatès, qui, selon César, est le Dis Pater latin, dieu qui donne la vie et la mort,
dieu primordial en quelque sorte.
À vrai dire, tout cela paraît remonter à un vieux mythe
indo-européen. Pindare raconte ( Olympiques , I,
40) que Pélops ayant été coupé en morceaux et bouilli dans un chaudron, la
déesse Clothô replaça tous ses membres dans le chaudron et le ressuscita. Si on
prenait à la lettre l’argumentation de Freud, dans Totem
et Tabou , nous serions en présence d’un souvenir du repas totémique
primitif où les fils se partagent le corps du Père, qu’ils ont tué, donnant
ainsi l’archétype de la Cène où Jésus distribue son corps et son sang sous
forme de pain et de vin. Cela semble cependant un peu moins simple, d’autant
plus que le meurtre originel du Père n’est pas prouvé dans les sociétés les
plus anciennes qui étaient certainement gynécocratiques et non andocratiques [294] .
Certes, on pourrait trouver des traces de totémisme dans l’épopée celtique.
L’une d’elles se rapporte directement à notre sujet. Dans le récit irlandais du Cochon de Mac Dathô , l’hôtel de Mac Dathô a
« sept foyers et sept chaudrons. Quiconque passait sur le chemin mettait
la fourchette dans le chaudron, et quoi qu’il attrapât du premier coup, il ne recommençait
pas [295] ». Ce chaudron est
évidemment un chaudron d’abondance, mais on notera que le Cochon a une valeur
symbolique : bouilli dans le chaudron, il acquiert la valeur d’une nourriture
d’immortalité, et cela d’autant plus que le personnage de Mac Dathô, qui
possède un chien analogue à Cerbère, est un personnage de l’Autre Monde. Dans
toute la mythologie irlandaise, les Cochons de Mananann sont célèbres : ce
sont ceux que Mananann a donnés aux Tuatha Dé Danann pour leur permettre de
subsister, une fois qu’ils eurent été chassés de la terre d’Irlande par les
Gaëls. Le cochon apparaît aussi comme nourriture merveilleuse dans la tradition
galloise, et dans la quatrième Branche du Mabinogi ,
c’est le dieu-magicien Gwyddyon qui s’empare des « Cochons du Sud »,
animaux donnés autrefois au père de Pryderi, Pwyll « Maître de l’Abîme ».
Les cochons constituaient pour les Celtes une nourriture fort ancienne, mais également
une nourriture rituelle. De là à considérer ces légendes comme un souvenir du
totémisme, il n’y a qu’un pas facile à franchir.
Mais on retrouve ce festin bizarre et macabre
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