La Femme Celte
dit la coutume gynécocratique. Quand Houarn, conscient des périls qui
le menacent, accepte d’aller trouver la sorcière en son palais merveilleux, il
peut s’agir de deux choses : ou bien il fait retour dans le domaine du
rêve qui est celui de son enfance et même de son état d’avant la naissance ;
ou bien il sait au fond de lui-même qu’il n’est pas en possession de tous les
pouvoirs, et qu’il suffit d’aller les chercher là où ils se trouvent, dans
l’univers maternel, dans une société encore gynécocratique. Les trésors de la
Groac’h sont évidemment les trésors de l’Autre Monde, mais cet Autre Monde
n’est pas le paradis futur : c’est l’Autre Monde que l’on côtoie sans
cesse et où il est nécessaire de plonger pour retrouver ce qui n’a pas encore
été utilisé, ce qui a été méprisé par la société androcratique. En fait il
s’agit d’un retour aux sources.
Mais Houarn n’est pas libre. Il est attaché à Bellah,
laquelle représente la femme vue par la société paternaliste, femme pensée
comme épouse légitime et respectueuse de la loi des hommes. Elle ne peut pas
laisser partir Houarn sans couper le fil : d’où l’utilisation des
talismans, clochette et couteau, qui permettent à Bellah d’intervenir et de
« sauver » une situation compromise par l’abandon de Houarn, qui a
succombé aux charmes de la Groac’h, lisons : qui a voulu tenter
l’expérience gynécocratique. Car il est bien évident que dans l’état actuel du
conte, on a masqué l’acceptation de Houarn sous un flot d’éloquence : ce
n’est pas de sa faute, le vin qu’il a bu l’a échauffé, lui a ôté ses moyens de
défense. C’est un refrain que l’on a souvent utilisé et qui est destiné à
accentuer le rôle de tentatrice de la femme-serpent, de la femme-monstre, de l’ ogresse . Quand la Groac’h jette son filet sur
Houarn, la métaphore est claire : elle fait rentrer son fils dans son
ventre et le fait régresser sous forme de grenouille (ou de poisson). Ce retour
à l’état primitif est considéré, dans le contexte actuel du conte, comme une malédiction.
Il faut donc rétablir d’urgence la situation actuelle : d’où le personnage
de Bellah. Il y a donc ici un combat entre la Mère et l’Épouse (légitime bien
entendu), ou encore entre la Mère et la Fille. C’est la Fille qui l’emporte
parce qu’elle est soumise à la Loi paternelle.
Cette transformation subie par Houarn et les autres époux
temporaires de la Groac’h est donc un retour vers une société gynécocratique où
l’être humain trouve un nouvel équilibre dans des rapports affectifs différents
et basés sur une complicité mère-fils, cette fameuse complicité que le
Christianisme, du moins à l’origine, a essayé de restaurer dans le couple
Marie-Jésus. Dans la légende qui nous occupe, il peut y avoir opposition entre
deux types de christianisme, l’ancien représenté par la Groac’h, et le nouveau
par Bellah. Une telle affirmation a certainement quelque chose de scandaleux,
et pourtant bien souvent la véritable religion chrétienne, pure et idéologique,
se trouve dissimulée sous le masque hideux du diable, tant a été bien organisée
la machination paternaliste répressive qui a fait de notre société soi-disant
évoluée une supercherie intégrale.
Car à travers ce symbolisme de la Groac’h, refoulé au fond
de l’inconscient, nous retrouvons non seulement le christianisme authentique,
celui du couple Marie-Jésus (qui n’est plus utilisé que pour des sermons
bêtifiants), mais aussi la formulation ancienne des rapports entre l’homme et
la femme. Ces rapports anciens sont réactualisés par l’amour de Tristan et
d’Yseult, de Diarmaid et Grainné, de Noisé et Deirdré, amour qui s’oppose
formellement à la légitimité du roi, qu’il soit Mark, Finn ou Conchobar. Ici,
la Groac’h restitue à Houarn cet ancien type de rapports qui n’est plus supportable par la société actuelle ,
paternaliste, répressive sur le plan des instincts, axée sur la productivité
par suite de la non-satisfaction. Alors Bellah, la femme-objet ,
création de cette société, vient à la rescousse, car elle a eu la prudence de
ne laisser partir Houarn qu’après avoir donné à celui-ci le fil d’ Ariane .
Car nous y voici : nous vivons, depuis le début de la
Psychanalyse, sur un non-sens, une incompréhension totale du mythe d’Ariane, et
partant de là, du mythe de
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