La Femme Celte
l’utile
secours
vous eût du Labyrinthe enseigné les détours.
Que de soins m’eût coûtés cette tête charmante !
Un fil n’eût point assez rassuré votre amante :
Compagne du péril qu’il vous fallait chercher,
Moi-même devant vous j’aurais voulu
marcher ;
Et Phèdre, au Labyrinthe avec vous descendue,
Se serait avec vous retrouvée ou perdue. »
Étonnant Racine, le plus classique d’entre les Classiques,
en plein siècle de logique cartésienne et de raison triomphante ! Quel
paradoxe de trouver en ses œuvres la justification de toute une thèse
concernant la femme celtique ! Il est vrai que la femme celtique est la
femme universelle, avant l’occultation , et que
Racine, cherchant avant tout l’universalité, devait fatalement se trouver en
face de ce mythe fondamental. Mais il ne suffisait pas de se trouver en face du
mythe, il fallait l’expliquer ou du moins le sentir. Et c’est ce que Racine a
fait, avec génie.
Tout est dit en effet. Si Hippolyte – ou un Thésée digne
d’être conduit au fond du Labyrinthe [442] – s’était trouvé là, ce
n’est pas Ariane, femme-objet, création de la société paternaliste, qui l’eût
aidé. C’est Phèdre elle-même, et elle prend soin de préciser que, grâce à son
amour (c’est en cela que nous rejoignons le mythe de Tristan), elle aurait
marché devant Hippolyte, et qu’elle ne se
serait pas faite la complice de la société en attachant un fil au poignet du
héros. Phèdre aurait partagé le sort de Thésée-Hippolyte, Phèdre aurait marché
devant lui, lui aurait servi de guide. Voilà qui change tout, et qui bouleverse
l’opinion assez stupidement répandue (depuis Chateaubriand hélas !) selon
laquelle Phèdre serait une chrétienne à qui la grâce aurait manqué. Phèdre est
une initiatrice, une transformatrice, au même titre qu’Yseult, Grainné et Deirdré.
Phèdre, descendante du Soleil (pensons à Grainné dont le nom vient du mot
irlandais qui signifie « soleil », pensons à Yseult la Blonde,
personnage éminemment solaire), Phèdre la Solaire conduisant le héros dans les
sombres replis du Labyrinthe (le ventre maternel) à la recherche de la Vérité
qui se trouve au fond de la matrice, il y a là de quoi rêver. Car au lieu d’une
femme maudite, vicieuse, suborneuse de mineur, nous voyons apparaître le visage
d’une fée qui offre à l’homme de le guider dans les sombres régions où elle
seule peut éclairer le décor, où elle seule peut conduire, car elle seule
connaît le chemin. Et ce n’est pas le chemin du
retour, c’est le chemin de l’aller.
Bien entendu, pas plus que Thésée, Hippolyte ne comprend le
message. Il s’éloigne avec horreur de Phèdre. Il a en fait la même attitude que
Tristan qui fuit Yseult, que Diarmaid qui refuse à Grainné de le suivre, que
Noisé qui écarte Deirdré parce qu’elle est promise à Conchobar. La Femme, la
Femme authentique, réintégrée dans sa pleine puissance fait peur à ces
sous-produits de la société paternaliste. C’est pour cela qu’Hippolyte sera
détruit, parce qu’il est aveugle, parce qu’il n’entrevoit pas la possibilité
qui s’offre à lui [443] .
Et pourtant Phèdre a été très loin. Toujours dans la tragédie
de Racine qui représente la reconstitution du mythe primitif, nous voyons
Phèdre prononcer un véritable geis sur Hippolyte, lorsqu’elle le provoque :
« Venge-toi, punis-moi d’un odieux amour…
Voilà mon cœur, c’est là que ta main doit frapper. »
Mais Hippolyte ne comprend pas la portée de ce geis . Alors Phèdre insiste :
« Frappe…
Ou si d’un sang trop vil ta main serait trempée,
Au défaut de ton bras prête-moi ton épée ;
Donne. »
Et Phèdre s’empare de l’épée d’Hippolyte. Cet objet, qui restera
en sa possession et qui sera la pièce à conviction lorsqu’il s’agira d’accuser
Hippolyte de tentative de viol, est donc l’instrument du destin : il est
en fait la matérialisation du geis , comme le
philtre de Tristan. Mais si Tristan, Diarmaid et Noisé ont eu la chance de
pouvoir réaliser leur amour et d’arriver à la vérité, Hippolyte, ayant refusé
d’obéir à l’obligation du geis , sera tout de
suite perdu, sans avoir eu droit à une parcelle de connaissance quelconque.
D’ailleurs la situation créée dans la légende grecque était
intolérable et devait se résoudre par la mort des antagonistes. Phèdre
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