La Femme Celte
Tristan et Yseult : c’est au prix d’un effort
considérable de la femme (analogue au travail de l’enfantement) que l’homme
peut franchir l’étape décisive qui fera de lui un véritable homme. Mais pour
cela, il faut rompre les ponts avec le passé. Il faut transgresser l’interdit
primitif.
La structure de la légende de Diarmaid et Grainné est la
même. Seules les nuances sont différentes. La part de responsabilité de la
femme paraît plus grande (et en dernière analyse plus conforme au mythe
primitif tel qu’il s’exprime dans la Genèse ),
car Grainné assortit son amour pour Diarmaid d’une authentique révolte contre
l’ordre paternaliste, et au fond, elle entraîne Diarmaid dans cette lutte.
D’autre part Diarmaid tarde à renaître, car il n’obéit qu’à l’aspect extérieur
du geis , la fuite, donc la révolte contre Finn [437] .
Il se contente donc de vivre avec Grainné en évitant soigneusement d’avoir des
rapports sexuels avec elle comme s’il avait la terreur de réveiller en lui
quelque chose de diabolique . Une des versions
de la légende précise même qu’il avait l’habitude de planter chaque soir un
piquet à la porte de la grotte ou de la cabane qu’il occupait avec Grainné, et
sur ce piquet un quartier d’animal pour indiquer à Finn qu’il respectait sa
femme. Finn n’intervenait pas, et il ne le fit que le jour où Diarmaid ne mit
plus de piquet, prouvant ainsi que son union était consommée [438] .
Il faut donc que ce soit Grainné qui prenne la décision. Elle prononce sur
Diarmaid un nouveau geis qui l’oblige à
l’aimer [439] . De là date la
véritable métamorphose de Diarmaid, et le vieux roi Finn ne s’y trompe
pas : il intervient pour tuer Diarmaid à qui Grainné a permis de connaître
ce que lui seul, Finn, était en droit de connaître. Car Diarmaid est maintenant
en possession des secrets diablement intéressants ,
il est donc dangereux pour Finn, qui doit absolument l’éliminer, même si, pour
cela, il transgresse d’autres interdits. Quant à Diarmaid, on peut dire que la
transgression du tabou paternaliste a été pénible pour lui, et qu’elle ne s’est
opérée que par la puissance même de la femme.
Cette nouvelle naissance de l’homme grâce à la femme, dans
l’acte d’amour, est inséparable de la nouvelle naissance accomplie pour
elle-même par la femme, grâce à l’homme qu’elle s’est choisi. En effet, le
désir inconscient de l’homme est de réaliser le paradis – perdu ou imaginaire
peu importe – par la pénétration dans la femme, c’est-à-dire dans l’univers
maternel. Mais le pénis étant le substitut de l’être masculin entier, l’homme
ne peut réaliser ce paradis qu’en se résignant à être le contenu d’un tout qui le dépasse et qui est
nécessairement plus puissant que lui : d’où cet état d’infériorité, ce
« complexe », car c’en est un, de l’homme et toutes les inventions
qu’il imagine pour donner le change et se prétendre le maître. Mais la femme
réalise elle aussi la situation paradisiaque, de l’autre côté, en donnant asile
à l’enfant – lorsqu’elle est mère – et à l’homme – lorsqu’elle accomplit l’acte
d’amour. Pour elle, c’est, dans les deux cas ,
une nouvelle naissance. Car, la Psychanalyse l’a mis en évidence, l’infériorité
de la femme consiste seulement à être privée de la reconnaissance de son vagin
par les parents, alors que la reconnaissance du pénis par les parents permet au
garçon d’occuper une place sociale réelle. Et à partir du moment où le pénis de
l’homme est dans son vagin, et ensuite quand l’enfant se trouve dans son ventre
(le fantasme est identique), la femme ressent la reconnaissance de ce vagin comme
un triomphe, comme sa véritable entrée dans le monde social. C’est d’ailleurs
pourquoi une femme mariée jouit d’une considération que n’a pas la jeune fille,
qu’une veuve ou une divorcée peut se permettre une vie libre interdite à une
jeune fille. Le fait d’avoir été déflorée – puis ensuite d’être mère –
constitue pour la femme une nouvelle naissance. Ainsi trouverons-nous certaines
femmes se réalisant dans leur vie amoureuse, d’autres dans leur vie de mère.
Mais la prise de conscience est la même. La nouvelle naissance concerne aussi
bien la femme que l’homme.
Cependant, d’après les légendes celtiques, et aussi d’après
d’anciennes traditions des
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