La Femme Celte
il y avait des choses diablement intéressantes à découvrir.
Ces choses diablement intéressantes ,
elles se trouvaient aussi au fond d’un chaudron célèbre dans la mythologie
galloise, celui de la déesse-sorcière Keridwen. Et nous allons voir que cette
Keridwen, qui ressemble beaucoup à la Groac’h de l’île du Lok, a aussi beaucoup
de points communs avec Yseult, Grainné et Deirdré.
Histoire de Taliesin (Pays de Galles) : Keridwen a sa demeure au milieu du lac Tegid. Comme
elle a un fils d’une laideur repoussante, elle décide de lui donner la connaissance
parfaite, et pour ce faire, elle fait bouillir un « chaudron d’inspiration
et de science ». L’opération doit durer un an. Keridwen charge un certain
Gwyon Bach de surveiller le chaudron. Or un jour, « trois gouttes du
liquide magique coulèrent du chaudron et tombèrent sur le doigt de Gwyon Bach. Et
en raison de leur grande chaleur, il porta son doigt à sa bouche, et à
l’instant même où les gouttes merveilleuses le touchèrent, il vit toutes choses
à venir ». Keridwen, furieuse de voir son travail gâché, poursuit Gwyon.
Mais celui-ci, qui a la connaissance parfaite, se transforme en différents
animaux afin d’échapper à la colère de Keridwen. Keridwen se transforme
elle-même en différents animaux, et finalement, sous la forme d’une poule, elle
avale Gwyon Bach qui s’était métamorphosé en grain de blé. « Et à ce que
dit l’histoire, elle fut enceinte. Quand vint l’époque de sa délivrance, elle
n’eut pas le courage de tuer l’enfant en raison de sa beauté. C’est pour quoi
elle le mit dans un sac de peau. Elle jeta le sac à la mer… » Et cet
enfant sera le barde Taliesin, célèbre par sa connaissance du monde, véritable
incarnation du druidisme (J. M., L’Épopée
celtique en Bretagne , p. 94-97 [448] ).
Il est évident que le Chaudron de Keridwen est une des figurations
du Graal primitif, dispensateur de richesses intellectuelles. Il est non moins
évident que ce Chaudron a des rapports avec le Philtre que boivent Tristan et
Yseult. Le liquide qu’ils contiennent tous deux est interdit à ceux à qui il
n’est pas destiné. Or Gwyon Bach, comme Tristan, le boit par mégarde : ce qui veut dire que l’un et
l’autre ont transgressé un interdit. En buvant le philtre, Tristan se lie
définitivement et obligatoirement à Yseult. Yseult métamorphose complètement
l’ancien Tristan et en fait un homme nouveau, qui est à la fois son fils et son
amant. En buvant les trois gouttes du chaudron préparé par Keridwen, Gwyon Bach
se lie définitivement et obligatoirement à Keridwen. Il essaie de
s’échapper : il ne réussit pas, car les trois gouttes ont la valeur du geis . Et Keridwen l’ avale .
L’image est claire : il s’agit tout simplement de l’acte sexuel, de
l’engloutissement de l’Amant par la Maîtresse, réalisation fantasmatique qui
découle de l’absorption du pénis par le vagin. Gwyon Bach revient dans le sein
de sa mère pour une nouvelle maturation, et quand il renaît, ce n’est plus sous
la forme ancienne de Gwyon Bach, c’est sous la forme nouvelle de Taliesin.
Keridwen a donné une nouvelle vie à celui qu’elle a englouti, celui qui est à
la fois son fils et son amant. C’est l’illustration la plus éclatante de la
métamorphose que la Femme fait subir à l’homme qu’elle a choisi et qu’elle
aime. L’acte d’amour débouche sur une nouvelle naissance. Gwyon Bach, Tristan,
Diarmaid, Noisé, ont réussi ce qu’Hippolyte n’a pas osé faire : en aimant,
contre toutes les lois, contre toutes les obligations précédentes, celle qui
est l’image de leur mère, ils ont franchi une étape fondamentale. À ce moment-là,
par la vertu de l’Amour, comme par la vertu de la Poésie qui est elle-même une
transformation, Je est un autre . On pense à la
légende de saint Jean Chrysostome qui était un fort mauvais écolier. Un jour il
pria la Sainte Vierge devant sa statue. Et la statue lui parla, lui demandant
de venir embrasser ses lèvres. Il appuya donc ses lèvres sur celles de la
Sainte Vierge, et par ce seul baiser, il fut pénétré d’une immense sagesse et
de connaissances miraculeuses dans les arts : c’est pourquoi il fut appelé
saint Jean « Bouche d’Or ».
Mais cette anecdote nous permet d’insister sur la transgression
que constitue le geste d’amour. Il était presque blasphématoire pour saint Jean
d’embrasser
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