La Femme Celte
est assez déconcertant dans la société chrétienne du Moyen
Âge, et même si ses origines passent pour être occitanes, il correspond
étroitement aux préoccupations des Celtes et se réfère à leur système
juridico-social. Mais en dehors de cette revendication féminine du droit au
libre amour, les Lais de Marie de France, qui sont tous des adaptations de
légendes celtiques, insulaires et armoricaines (d’après les noms propres Marie
s’est inspirée d’œuvres en breton-armoricain), présentent le schéma
caractéristique du mythe de la Princesse Engloutie. Dans Guigemar , nous retrouvons la forteresse près de la
mer, et dans la forteresse, le verger et le sanctuaire qui est la chambre,
entourée par des peintures représentant Vénus. Or dans la suite du récit
l’Amant arrivera par la mer .
Car en définitive, c’est l’Eau qui demeure l’élément
essentiel dans le mythe de la Princesse Engloutie. Souvenons-nous du Lancelot de Chrétien de Troyes : le héros est
l’amant de la reine Guenièvre et veut reprendre celle-ci qui a été ravie par
Méléagant dans son royaume de verre . Lancelot
pénètre dans le royaume de verre par le Pont de l’Épée et la description de son
passage ressemble à un rituel sanglant tant il
se blesse sur l’épée. L’épée elle-même est un symbole phallique. Le fait que
Lancelot, ayant le choix entre le Pont-Sous-l’Eau et le Pont de l’Épée, ait
opté pour ce dernier est normal : il est l’amant. Mais l’épée a une autre
signification, elle symbolise le feu. C’est donc une voie ignée, sèche qu’a
choisie Lancelot, et cela fait penser à la Voie Brève ou Voie Sèche des Alchimistes, méthode assez
mystérieuse à laquelle s’oppose la Voie Longue ou Voie Humide , et qui est un moyen pour
parvenir à la Pierre Philosophale. Or Lancelot, qui a pourtant réussit
l’exploit de pénétrer ainsi dans le royaume de verre, ne peut délivrer
Guenièvre : il échoue [93] . Et c’est Gauvain qui
ramène Guenièvre, Gauvain qui est passé par le Pont-Sous-l’Eau, avec bien des
difficultés d’ailleurs, puisqu’il s’en faut de peu qu’il n’ait été noyé.
Gauvain qui est le neveu de Guenièvre, c’est-à-dire un substitut du fils, a
retrouvé instinctivement la voie naturelle qui lui permet de mener à bien sa mission.
Car la Femme, c’est évidemment la Mère sous les aspects les
plus divers. Ce qu’accomplit Gauvain, et ce que n’a pas fait Lancelot, c’est un regressus ad uterum au cours duquel il faut
franchir l’eau, c’est-à-dire le liquide amniotique qui sépare le fœtus du monde
extérieur, à l’image de l’océan primitif qui enfermait en son sein les êtres
vivants, avant la catastrophe de l’assèchement qui les a rejetés sur la terre,
les obligeant à s’adapter à une vie nouvelle, sèche et pénible. Lancelot agit
en amant, par l’épée, c’est normal, nous l’avons dit, mais ce n’est pas
suffisant. L’épée est la projection de Lancelot, comme le pénis est le prolongement
de l’être mâle. Lancelot tente ainsi l’union amoureuse avec Guenièvre, la
Femme-Mère (elle est la Reine), mais cette union est nécessairement incomplète,
car « dans les deux sexes l’élaboration du désir passe par une envie
impossible à satisfaire [94] ». D’autre part, si
l’union sexuelle est une sorte de retour vers l’utérus maternel, « le coït
réalise cette régression temporaire de trois manières : l’organisme
complet la réalise de façon hallucinatoire seulement, à la manière du rêve ; le pénis, auquel s’identifie l’organisme
entier, y réussit déjà en partie, c’est-à-dire symboliquement ;
mais seul le sperme a le privilège, dans son rôle de représentant du Moi et de
son alter ego narcissique, l’organe génital,
de parvenir aussi réellement à atteindre la situation
intra-utérine [95] ».
Par conséquent, Lancelot ne
pouvait pas réussir ce que Gauvain obtiendra par un engloutissement véritable au sein des eaux-mères.
C’est dire l’importance du thème de l’Eau. L’eau sert de frontière entre les
deux mondes. Le passage entre les deux rives est donc un échange entre ces deux
mondes, comme en témoigne la célèbre anecdote du Peredur gallois où le héros voit des moutons blancs devenir noirs en débarquant
sur une rive, et des moutons noirs devenir blancs en débarquant sur l’autre [96] .
Dans un curieux ouvrage d’un écrivain latinisant du XIV e siècle,
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