La Femme Celte
avec sa sœur Genovefa en croupe ». Ils s’établissent, l’une à
Loqueffret, l’autre à Lannédern. Le cerf les aide pour les charrois, et ils
bâtissent leurs ermitages. Pour délimiter leurs domaines respectifs, Édern doit
parcourir jusqu’au premier chant du coq le plus de pays possible, monté sur son
cerf. Quand Genovefa voit que le cerf va plus vite que prévu, elle s’arrange
pour faire chanter un coq. On prétend que les bois d’alentour sont encore
peuplés de descendants du cerf de saint Édern (A. Le Braz, Annales de Bretagne , VIII, 404-407).
Si la Chasse au Blanc Cerf apparaît comme un rituel
magico-religieux destiné à honorer une femme, le cerf de Merlin et celui d’Édern
ont perdu ce caractère. Cependant tout le monde est d’accord pour voir dans le
cerf un animal qui procure l’abondance et la fécondité. Les représentations
gauloises et gallo-romaines du dieu muni d’une coupe ou d’un sac d’où se déversent
des flots de monnaie semblent le prouver. Or l’abondance et la fécondité sont
avant tout l’apanage des femmes. Voilà pourquoi nous continuerons à affirmer
que l’image du dieu-cerf, ou du dieu au cerf, ne fait que recouvrir une image
plus ancienne, l’image de la déesse-biche, ou de la déesse à la biche. Le thème
est d’ailleurs celui des bois de cervidé , et
il est très archaïque, d’origine pré-indo-européenne. Les dessins rupestres du
Val Camonica, qui datent du V e siècle
avant notre ère, représentant une divinité aux torques et aux cornes de cerf, l’image de la grotte des Trois-Frères, remontant au
paléolithique, et consistant en un personnage en partie humain, en partie zoomorphe,
mais avec des bois de cervidé, nous le montrent avec certitude. On a découvert
dans les sépultures mésolithiques des îles de Téviec et de Hœdic (Morbihan) des
bois de cerf sur les crânes des morts. Les populations du nord de l’Europe
honorent particulièrement le cerf, qui est évidemment l’animal représentatif de
la chasse. Certains shamans de Sibérie se déguisent en cerfs et portent des
bois de cervidé sur la tête. Le cerf, qu’il s’agisse du mâle ou de la femelle,
aurait été l’animal sacré d’une civilisation arctique dont le symbole aurait
été répandu, à l’époque glaciaire, jusque dans les régions méditerranéennes [131] .
Et, chose très importante, cela n’est pas loin des pratiques et des croyances
des anciens Scythes : on a retrouvé en effet, dans de nombreuses tombes
des Scythes d’Asie, surtout orientale, des statuettes représentant des hommes
ou des animaux ornés de cornes de cerfs, et même des ornements destinés à la
tête des chevaux, et comportant eux aussi des bois de cervidé, notamment dans
le site célèbre de Pazirik, à l’est de l’Altaï [132] .
Or, nous revenons de ce fait à la déesse qu’on a appelée la
Diane Scythique et qui est l’Artémis grecque, divinité solaire à l’origine des
temps, et qui a perdu cet aspect et cette fonction au profit d’un dieu mâle. On
peut d’ailleurs voir comment le processus s’est déroulé dans le monde
hellénique, et le reporter sur la tradition celtique. En effet, primitivement,
Artémis – peu importe d’ailleurs le nom de la Déesse – s’identifiait avec sa
mère Lêto (ou Latone), de même que Korè-Perséphone était le doublet de sa mère
Déméter : elle représentait le jeune Soleil, le Soleil levant et plein de
force, par opposition à Lêto qui personnifiait le Soleil vieux, le Soleil
couchant (de même Korè était la Jeune Fille, c’est-à-dire la Jeune Terre, face
à Déméter, la Vieille Terre, c’est le mythe bien connu du renouveau). À partir
du moment où les divinités féminines ont été masculinisées, mais aussi parce
qu’il était impossible de faire oublier totalement l’aspect féminin de ces
divinités, on a conservé le personnage d’Artémis, mais on lui a adjoint un
parèdre mâle, son frère Apollon, lequel a monopolisé l’aspect solaire, tandis
que l’on rejetait Artémis dans la nuit en en faisant la Déesse-Lune [133] .
Et l’on sait que primitivement la Lune était masculine et le soleil féminin [134] .
Il s’est donc produit un grand bouleversement dans le symbolisme religieux et
mythique : la déesse-mère Soleil, Lêto, a été remplacée par ses enfants,
mâle et femelle, et l’on sait que Junon-Héra a tout fait pour que ces enfants,
dus à l’adultère de Zeus (donc aux
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