La Femme Celte
ils les voyaient cependant aussi
distinctement que s’ils avaient été avec eux. Ce repas dura sept ans » (J. Loth, Mabinogion , I, 147, 148).
Si Rhiannon n’apparaît pas en personne dans cette histoire,
son fils Pryderi fait partie des sept survivants et donc des sept convives de
ce festin d’immortalité qui dure sept ans. En tout cas, ces oiseaux
merveilleux, dont il est dit expressément qu’ils appartiennent à Rhiannon, font
perdre non seulement le sens du temps, mais aussi les souvenirs des moments
douloureux. Or nous retrouvons presque intégralement le même thème dans un
roman arthurien passionnant à bien des égards, et que l’on ne connaît pas
assez, le Roman de Jaufré :
Le Verger de Brunissen (Occitanie) : Après d’étranges aventures dans la forêt de Brocéliande, Jaufré
est parvenu dans un verger « tout clos de marbre », et rempli
d’oiseaux. Ce verger se trouve dans le palais de Monbrun où vit, recluse, la
jeune orpheline Brunissen. « Elle est vêtue d’un élégant corsage de soie
montant haut. Ses cheveux, fins et blonds, sont noués gracieusement d’un fil
d’or. Elle a un beau visage plaisant… Il est très pur naturellement et son
éclat ne s’altère à aucun moment, pas plus le matin qu’au coucher ; on le
voit plutôt s’accroître, resplendir et répandre de la lumière en sont illuminés
tous ceux qui marchent côté d’elle. Elle a posé sur sa tête… un chapeau de
plumes de paon, et elle tient à la main une fleur splendide qui exhale une
suave odeur. » Et Brunissen est attristée depuis sept ans par un chagrin
qu’elle et les siens manifestent par des larmes quatre fois le jour et quatre
fois la nuit. Seul le chant des oiseaux peut apaiser sa douleur ( Roman de Jaufré , v. 3040 et suivants).
Cet énigmatique personnage de Brunissen est de toute évidence
une divinité solaire : l’éclat de son visage le prouve. Mais ce n’est pas
du soleil des Vivants qu’il s’agit : c’est en fait le Soleil de l’Autre
Monde, celui qui resplendit davantage au coucher et au lever. C’est le
« Soleil Noir ». D’ailleurs le nom est caractéristique :
Brunissen est la Reine Brune, malgré ses cheveux blonds qui indiquent la mode
du temps, ou qui, au contraire, renforcent l’idée solaire. Elle habite le
palais de Monbrun, c’est-à-dire Mont-Noir, à moins
que ce ne soit une déformation occitane d’un original celtique qui
pourrait être Maen-Brân , c’est-à-dire Pierre
du Corbeau. Mais on sait que le Corbeau est l’animal d’Apollon, et cela en
dépit de sa noirceur, comme il est l’animal lié au dieu celtique Lug dont le
nom signifie « blanc », comme il est lié au nom même du héros breton
Brân Vendigeit (le Corbeau Béni) dont la tête, jointe aux Oiseaux de Rhiannon,
permet le festin d’immortalité. Au reste, Brunissen, avec son chapeau de plumes
de paon, ressemble bien à Junon dont l’animal symbolique est effectivement le
paon. Cette Junon n’est cependant pas la Juno-Iléra diurne, c’est la Juno-Lucina , un peu inquiétante
et rejetée dans l’ombre, celle qu’on nomme la « Mauvaise Lucine », la Mala Lucina devenue dans les traditions
poitevines Mélusine . Et cette Notre-Dame de la
Nuit, car c’en est bien une (n’est-elle pas recluse dans le palais de Monbrun ?),
porte à la main une fleur merveilleuse qui n’est autre que la Fleur
d’Immortalité.
Il y a donc là des éléments extrêmement curieux. Brunissen
est attristée par un événement tragique. Elle et les siens manifestent ce
chagrin par des larmes, ce qui n’est pas sans rappeler les pleurs et les
gémissements dont Peredur est le témoin dans le Château des Merveilles (le
Château du Graal), lorsqu’il assiste à ce qui a dû être le primitif cortège du
Graal. Et depuis sept ans, Brunissen se fait consoler par le chant des oiseaux.
Ce n’est pas une coïncidence : l’auteur occitan du Roman de Jaufré se réfère à la même tradition que
celle que nous découvrons dans le récit de Branwen ,
et cela nous permet d’avoir une description assez précise de la déesse aux
oiseaux, autre visage de Notre-Dame de la Nuit.
Une anecdote fort connue contient le même thème des oiseaux
enchanteurs, à la fois dans la littérature galloise et dans les romans
arthuriens français :
Les Oiseaux de
Barenton (Galles et Bretagne armoricaine) : À la cour du roi
Arthur, Kynon, fils de Klydno, raconte les aventures qui lui
Weitere Kostenlose Bücher