La Femme Celte
campagnes françaises :
elle est mi-femme, mi-serpent, et Rabelais, qui est toujours très au courant
des traditions populaires, surtout de celles du Poitou, nous la décrit dans le Quart Livre (XXXVIII), évidemment avec son humour
particulier, mais en tout cas en insistant sur son caractère original :
« Visitez Lusignan, Parthenay, Vouant, Mervant et Pouzauges en Poitou. Là
trouverez témoins vieux… lesquels vous jureront, par le bras de saint Rigomé,
que Mélusine, leur première fondatrice, avait corps féminin jusqu’aux seins, et
que le reste, en bas, était andouille serpentine, ou bien serpent andouillique.
Elle, toutefois, avait allures braves et galantes, lesquelles encore aujourd’hui
sont imitées par les Bretons balladins, dansant leurs trioriz (danses à trois
temps). » On notera la comparaison de l’allure de Mélusine avec les
mouvements d’une danse populaire bretonne, ce qui montrerait l’antiquité de
certaines de ces danses, et en tout cas, ce n’est pas pour rien que Rabelais
fait cette comparaison avec un détail breton, la légende de Mélusine
fourmillant de rapprochements de ce genre. Mais Rabelais continue son étonnante
dissertation sur les andouilles par une remarque qui est loin d’être
inintéressante : « La nymphe scythique Ora avait pareillement le
corps mi-partie en femme et en andouille. Elle, toutefois, tant sembla belle à
Jupiter, qu’il coucha avec elle et en eut un beau fils. »
Nous retrouvons chez Rabelais, qui, répétons-le, est un remarquable
transcripteur de légendes populaires orales, une référence au pays des Scythes.
Or la légende de Mélusine fait de celle-ci, parfois une princesse venue de
Scythie, parfois une fée d’Écosse. Or, dans la
tradition irlandaise , par suite d’une analogie de prononciation, la Scotie , c’est-à-dire l’Écosse, est souvent confondue avec la Scythie [164] .
Cela tendrait à prouver une origine irlandaise à cette légende, d’autant plus
que des épisodes du Roman de Mélusine se
passent en Irlande ou en Écosse, pays peuplé, soulignons-le, par les Gaëls
venus d’Irlande. Et d’autre part, la mention que fait Rabelais de la nymphe
Ora, qui est scythique , qui a un enfant de
Jupiter et se trouve donc au rang d’épouse de Jupiter, c’est-à-dire de
déesse-mère, au même titre que Junon, nous conduit à deux conclusions :
Mélusine-Ora est l’image folklorisée de la Diane scythique, l’Artémis déesse du
Soleil dont le culte s’est répandu avec la venue des Indo-Européens dans le
bassin méditerranéen en même temps que le culte d’Apollon à Delphes et à Délos.
Mélusine-Ora est un des visages de Junon, de celle qu’on nommait parfois la
Mauvaise Lucine, Mala Lucina , ce qui est la
forme primitive du nom de Mélusine, sans qu’on soit obligé de recourir à des
étymologies celtiques fantaisistes. Si Mala Lucina est la Mauvaise Accoucheuse,
la Mauvaise Mère, Mélusine l’est aussi, en un certain sens, comme le sera la
même figure divine chez les Celtes insulaires, l’Arianrod des Gallois. Mais
reprenons les grandes lignes de la légende :
Histoire de Mélusine (Jehan d’Arras) : Le roi d’Écosse, Élinas, qui est veuf, rencontre, au
bord d’une fontaine, une jeune fille mystérieuse, Pressine, qui ne veut pas
dire qui elle est ni d’où elle vient. Elle épouse Élinas sous condition que
celui-ci ne cherchera jamais à savoir quelque chose sur elle. Pressine donne
naissance à trois filles, Mélusine, Méliot et Palatine. Mais Élinas, poussé par
la curiosité et la jalousie, ne tient pas son serment. Pressine le maudit et déclare
que ses descendants, avec l’aide de sa sœur, la reine de l’Île Perdue, la
vengeront. Puis elle disparaît, emmenant ses filles avec elle dans l’Île Perdue.
Au bout de quinze ans, Mélusine décide de venger sa mère, et, après avoir
obtenu la complicité de ses deux sœurs, elle use de ses pouvoirs magiques pour
enfermer son père dans un endroit inaccessible de la montagne de Brandebois.
Pressine, furieuse de voir que ses filles se sont vengées sans elle, les frappe
de malédiction, mais plus encore Mélusine, instigatrice du complot. Méliot sera
emprisonnée dans un château d’Arménie, Palatine dans une montagne où elle sera en
compagnie de son père, et Mélusine sera tous les samedis « serpent jusqu’à
la ceinture ». Si quelqu’un veut l’épouser, il ne devra pas connaître son
secret. Alors Mélusine quitte
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