La Femme Celte
toute évidence,
la bonne Vierge protège des gens qui, en principe, ne mériteraient pas de
l’être. Faut-il y voir une illustration de la Charité, ou bien une transposition
des désirs inconscients d’une population harcelée par l’Inquisition, par le
concept de la toute-puissance du dieu-mâle-vengeur et de son image politique,
le Roi ? Toutes ces questions se résument en une seule : y a-t-il
toujours une Déesse-Mère, bonne et accueillante, celle qui supplie son Fils de
se montrer tolérant, celle qui se révolte contre la tyrannie de son époux divin
réincarné dans l’image du Fils ?
Elle remonte bien loin dans le temps, nous l’avons vu. Dans
le domaine proprement celtique, le nombre incalculable de statues ou de
statuettes de l’époque gallo-romaine représentant des Mères, plus exactement
des Matres ou des Matronae ,
nous prouve que le culte de la Déesse-Mère était toujours à l’honneur chez les
Gaulois. L’une de ces statues, soi-disant honorée par les Druides, se trouvait
dans un sanctuaire souterrain, à l’emplacement de la cathédrale de Chartres, et
cette Virgo Paritura est devenue Notre-Dame de
Sous-Terre, objet de vénération pour les pèlerins chrétiens. Et même si l’imagination
a brodé sur la statue de Chartres, il n’en est pas moins vrai que les Gaulois
honoraient la Mère Divine, sous différents vocables, de la même façon que les
Chrétiens le font encore actuellement pour Notre-Dame [162] .
Un document gaulois, qui présente l’avantage d’être un des rares textes écrits
en langue gauloise que nous possédions, est constitué par deux invocations à la
Déesse-Mère : il est intéressant de les donner en entier, d’abord parce
que c’est une curiosité archéologique, ensuite parce que l’on croirait une
prière catholique, comparable aux significatives, « Litanies de la Sainte
Vierge » :
« Pour l’amour de l’esprit à jamais
persistant, sois, ô Caticatona, un flot pour tes serviteurs, un flot puissant,
car tes serviteurs t’honorent. Sois favorable, ô Dibonna, déesse charmante.
Avec ceci, avec ceci, ô pure et joyeuse, Sucio t’honore avec ceci, fille
éternelle, sa servante Pontidunna, fille de Vousos. »
« Prospérité ! Nous prions
aujourd’hui, tendus vers toi, aujourd’hui devant toi par cette précieuse
offrande. Nous buvons à celui-ci, à ton propre puits : tu nous as aimés.
Tendus vers toi, honorant chaque jour, au milieu du jour. À la
prospérité ! Nous te prions par cette offrande, Imona, sois bienveillante
envers tes serviteurs rapidement [163] . »
Et si le peuple honorait la déesse par des prières, il
devait aussi raconter les aventures de la Mère des Dieux : on n’a jamais
vu un culte qui ne soit supporté par un récit mythologique, même dans les
périodes les plus historicisantes de la Civilisation. Cette déesse, Mère et Vierge , comme nous le verrons, a son histoire,
enracinée dans le terroir gaulois, et plus particulièrement dans le Poitou,
région d’où proviennent les deux invocations citées : il s’agit de la
légende de Mélusine.
À vrai dire, on a tenté bien des fois de donner au
personnage de Mélusine un caractère parfaitement historique en en faisant une
femme « scythe », c’est-à-dire d’Europe centrale ou orientale, qui
aurait épousé un comte de Poitou, Raymond de Lusignan. C’est un certain Jehan
d’Arras, qui, à la fin du XIX e siècle,
aurait, dans une œuvre littéraire désormais fameuse, opéré la transformation de
la femme réelle et non-chrétienne , en une
femme-fée, bâtisseuse de monastères et d’églises, bienfaitrice du Poitou, et
aussi par voie de conséquence, aurait donné ainsi à la famille des Lusignan ses
lettres de noblesse, la faisant remonter à un être divin ou féerique. Il va de
soi que cette explication historicisante n’est guère probante. Jehan d’Arras a
bien écrit son Roman de Mélusine , aux environs
de l’an 1380, pour glorifier la famille de ses protecteurs les comtes
d’Auvergne et le duc de Berry, mais il n’a certainement pas inventé, ni le
personnage, ni le nom de Mélusine, lequel nom, aux dires de certains, serait
issu de Lusignan. Le personnage de Mélusine est trop complexe pour être
l’invention d’un littérateur : il provient d’un fonds mythologique qui
avait dû se conserver plus longtemps dans le Poitou. Car Mélusine est une fée
qui n’est pas comparable avec les autres fées des
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