La Femme Celte
l’Île Perdue et arrive en Poitou. Elle rencontre
au bord d’une fontaine Raimondin de Lusignan, le tire d’une situation
désespérée et l’épouse à la condition qu’il ne cherche jamais à savoir ce
qu’elle fera le samedi. Dix garçons naissent de cette union, dix garçons
robustes, mais affligés d’étranges tares physiques : par exemple, Urian
avait un œil au milieu d’une joue, Geoffroy avait une canine très longue, d’où
son surnom de Geoffroy à la Grande-dent. Mais un jour, emporté lui aussi par la
curiosité et la jalousie, étonné par le fait qu’à chacune des absences de Mélusine
correspondait la construction quasi magique d’un château, d’un monastère ou
d’une église, Raimondin suit sa femme dans la grotte où elle se retirait tous
les samedis. Là, il voit Mélusine, le bas du corps semblable à un serpent, se
baignant dans une cuve de marbre vert. Mélusine s’aperçoit qu’elle a été
surprise, elle se lamente, ses bras s’allongent et deviennent des ailes, elle
disparaît enfin dans les airs en poussant un terrible cri de désolation. Son
fils Geoffroy à la Grande-dent sera le héros d’aventures extraordinaires en
Bretagne et en Irlande, et il s’emparera des terres de son grand-père Élinas.
Il semble qu’à l’origine, l’histoire de Pressine et de
Mélusine ait été la même chose ; il s’agit d’un doublet qui permettait la
localisation en Poitou d’une légende qui provient certainement d’Irlande, mais
qui a trouvé dans le terroir poitevin son point d’élection idéal. La souveraine
de l’Île Perdue, sœur de Pressine, ressemble beaucoup à Morgane la Fée,
souveraine d’Avallon, et toute cette légende tourne autour du thème de la
Déesse-Mère, seule capable d’assurer aux hommes leur prospérité et leur
bonheur, à la condition expresse que les hommes ne sachent pas qui elle est
exactement. Cette interdiction n’est guère différente de l’interdiction faite
par Yaweh aux Hébreux de ne jamais le regarder en face, car ils ne
supporteraient pas la vision absolue de la Divinité. Cela prouve que Mélusine
(ou Pressine) est une Divinité primordiale : elle a encore les
caractéristiques qui s’attachent à la divinité, primitivement féminine, puis
résolument masculine, qui préside à la naissance du monde et la construction, à
l’organisation du monde. C’est dans cet interdit – évidemment transgressé comme
tous les interdits – qu’il faut chercher la preuve de cette divinité de
Mélusine. Son nom de Mala Lucina en est une
autre preuve. Enfin, le fait qu’elle ait donné naissance à dix garçons tous
portant la marque d’un état surnaturel, vient compléter les raisons qui nous
font voir dans ce personnage maintenant folklorique, une des images les plus
saisissantes de la Déesse-Mère, Déesse primordiale des cultes gynécocratiques.
Et comment expliquer l’emprisonnement d’Élinas par sa fille Mélusine, autrement
que par la dernière révolte de la féminité contre la société nouvelle devenue
androcratique ?
Le thème de l’interdit se retrouve dans de nombreuses légendes
qui se rapportent toutes à l’union de la déesse et d’un mortel. À l’origine,
cette union de la Déesse et d’un mortel était dangereuse pour le mortel, comme
en témoigne l’antique légende de Cybèle et d’Attis : n’est-ce pas parce
qu’il a aperçu la déesse dévoilée qu’Attis a été frappé ? Le thème est
identique dans l’histoire de Vénus et d’Adonis, d’Ischtar et de Tammuz, de
Vénus et d’Anchise, et aussi, nous le verrons à propos d’un autre aspect de la
divinité féminine, dans l’étrange aventure du Roi-Pêcheur, gardien du Graal,
blessé à la cuisse, c’est-à-dire frappé d’impuissance. Mais dans les versions
de la légende où l’élément proprement folklorique l’emporte sur l’élément
purement religieux, il n’y a pas de blessure pour le mortel, il y a seulement
disparition de l’Être féerique par suite de la transgression de l’interdit.
Légende de Llyn y Fan (Pays de Galles) : Un jeune homme qui garde son troupeau près du Lac de
Fan aperçoit sur les eaux du lac une très belle jeune fille dont il tombe
amoureux. Après avoir vaincu sa timidité, il parvient à engager la conversation
avec celle-ci. Il sort vainqueur de l’épreuve à laquelle le soumet le père de
la jeune fille, qui habite lui aussi sous les eaux du lac. Il peut épouser la
Dame du
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