La Femme Celte
cygne, vers le royaume mystérieux de
son père, le roi du Graal. Et tout le folklore européen est rempli de ces
histoires de princes ou de princesses transformés en oiseaux, et notamment en
cygnes, par suite d’une malédiction, ou simplement pour pénétrer dans des
domaines où ils ne le pourraient pas sous leur aspect humain.
Cela n’est pas sans rappeler également des coutumes bizarres
concernant les oiseaux, coutumes celtiques rapportées par les écrivains de
l’Antiquité classique. C’est ainsi que Strabon (IV, 6) se fait l’écho d’une
tradition rapportée par Artémidore : dans un port de l’océan, quand deux
personnes se disputaient au sujet d’une affaire, elles posaient sur une
planche, en un lieu élevé, deux gâteaux ; des corbeaux dont l’aile droite
était blanche se jetaient alors sur les gâteaux et décidaient de l’affaire, car
celui dont le gâteau avait été culbuté était déclaré gagnant. Et il y a bien
d’autres histoires d’oiseaux, en particulier celle rapportée par Tite-Live
(livre VII) à propos de Marcus Valerius protégé par un corbeau et qui mérita
ainsi son surnom de Corvinus, ou encore ce que dit Justin (XXIV, 4) sur les
grandes migrations gauloises à travers l’Illyrie, en suivant le vol des
oiseaux. Mais tout cela ne fait que renforcer l’opinion qui voit dans l’oiseau
un guide céleste, un être aérien, léger, un être dont le mystère réside dans la
possibilité qu’il a de pouvoir gravir les hautes couches de l’atmosphère et de
se perdre dans le bleu du ciel. La conjonction de la Femme et de l’Oiseau coule
de source. La Femme, mystérieuse et inquiétante, relève des domaines interdits,
et le ciel est un domaine interdit. La Femme a le pouvoir d’engendrer, a le
pouvoir de guérir, le pouvoir de faire réintégrer à l’individu le paradis
primordial qui était le sien et qu’il a perdu à la suite de la grande
catastrophe de la naissance. Quoi de plus normal que de la comparer à un
oiseau, même si de mauvais plaisants prétendent que la femme n’a pas plus de cervelle
qu’un oiseau, ce qui reste, d’ailleurs, à démontrer et n’est pas près de
l’être.
La Femme-Oiseau, ou la Déesse aux Oiseaux, est donc un des
aspects essentiels de Notre-Dame de la Nuit, un aspect évidemment plus serein,
plus rassurant que l’aspect du cheval, de l’ours, ou du cervidé. On a
l’impression que les hommes, les mâles, ont fini par oublier le masque
diabolique dont ils avaient affublé la femme. En fait, l’ont-ils vraiment
oublié ? Non, mais l’inconscient joue de mauvais tours : il se
précipite parfois avec une telle puissance que les barrières les plus solides
ne peuvent résister. Car, au fond, la Déesse-Oiseau ne représente-t-elle pas
l’Espoir, c’est-à-dire pour parler net, la Tentation :
n’oublions pas que c’est la grand-mère de Pipi Menou qui lui explique ce que
sont les femmes-cygnes, et quel est le moyen de parvenir jusqu’au château
retenu par des chaînes d’or au-dessus de la mer. Car c’est toujours la Mère et
tous ses substituts qui indiquent à l’homme le chemin qu’il doit parcourir.
C’est la Mère qui élève l’enfant. C’est la Mère qui développe en lui, qu’elle
le veuille ou non, tous ses instincts érotiques et par conséquent tout ce qui
fera sa force virile. C’est le sens de tous les mythes concernant la puissance
mystérieuse et transformatrice de la Femme, et particulièrement du mythe de
Keridwen.
C’est cette déesse, qu’on appelle Keridwen, mais qui peut
s’appeler tout aussi bien Rhiannon, Laudine, Sadv, Dechtire, Macha, Bodbh,
Morrigane, Modron, Morgane, c’est cette déesse qui est au cœur du problème du
mythe féminin. Non seulement elle transforme son propre aspect, mais elle
transforme aussi l’aspect des autres. Et qui sont les autres ? Ce sont ses
enfants, bien sûr, fille ou garçon, mais également les hommes qui sont ses
amants. C’est la magicienne divine Circé qui, sur son île, change les
navigateurs en animaux divers. Or Kirké n’est
autre que la forme féminine de Kirkos , le
faucon tournoyeur. Notre-Dame de la Nuit est donc l’ Épervière ,
la Femme-Oiseau dévoreuse peut-être, mais qui donne une autre vie, sur un autre
plan, dans un autre monde. Et comme l’homme n’est jamais assuré de la
rencontrer, c’est lui qui l’imagine sous les différents aspects que la
Mythologie nous a conservés. Elle n’est pas seulement engloutie
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