La Femme Celte
dans un sac de peau, et sur les flots , en dit
long sur le sens du mythe. Cela rejoint d’une part tous les cas de fécondation
buccale que l’on relève dans la tradition celtique, et aussi tous les mythes
celtiques ou autres, de l’enfant abandonné sur les eaux, symbole de la
naissance dans l’utérus entouré d’eau, comme c’est le cas pour Moïse, Remus et
Romulus et bien d’autres [165] . Un curieux récit
hagiographique devenu conte populaire en Bretagne armoricaine, combine assez
étrangement les éléments du mythe païen et des préoccupations chrétiennes :
il s’agit de la vie d’un de ces nombreux saints qui hantent le calendrier
breton sans jamais y avoir été autorisés :
Légende de saint
Connerin (Bretagne armoricaine) : Connerin ou Conérin est encore
tout jeune. Un jour qu’il se rend à l’école, il rencontre des méchantes gens
qui le font brûler. Deux vagabonds découvrent à l’endroit où il a été brûlé, au
milieu des cendres, une belle pomme qui n’est pas cuite. Ils prennent cette
pomme et la donnent à une vieille qui a une fille en lui disant : « Votre
fille est menacée d’une grave maladie… Dès que vous l’entendrez se plaindre, donnez-lui
cette pomme… Par exemple, ne la donnez qu’au temps prescrit. Attendez que votre
fille se plaigne du ventre. » Un jour, la fille rentre malade de son
travail. La vieille lui fait manger la pomme, et bientôt on s’aperçoit qu’elle
est enceinte. La fille est accablée de reproches, mais elle persiste à affirmer
son innocence. Seul le recteur de la paroisse la croit, et le jour de
l’accouchement, il emmène l’enfant sur les fonts baptismaux, demandant aux assistants
un parrain et une marraine. Alors le nouveau-né s’écrie tout haut :
« Je n’ai besoin de parrain ni de marraine. Saint Conérin j’étais
auparavant, saint Conérin je suis maintenant » (chanté par Jacquette Craz,
de Lanmeur (Finistère), à Anatole Le Braz, Annales de
Bretagne , XI, p. 174-176).
Cette histoire est assez difficile à démêler quant aux différentes
influences qui s’y sont rencontrées, mais une chose est sûre, la relation avec
la légende de Taliesin. D’ailleurs les paroles du nouveau-né ressemblent
étrangement à celles prononcées par l’enfant Taliesin, lorsqu’il est retiré du
sac de peau dans lequel il flottait sur les eaux, paroles qui reviennent comme un
leitmotiv dans de nombreux poèmes gallois attribués au barde :
« J’étais Gwyon Bach autrefois, et maintenant je suis Taliesin. »
Cependant, sous sa forme chrétienne, ce conte nous fait remonter au fond des
âges, à la croyance que l’homme n’a rien à voir dans le phénomène de la
parturition qui est la fonction spécifique de la Femme. Ce n’est pas une vue de
l’esprit, car on peut retrouver cette croyance dans certains usages des
sociétés contemporaines, comme celles qu’a étudiées Bronislaw Malinowski en
Océanie : « Le mari n’est pas considéré comme le père des enfants, au
sens que nous attachons à ce mot ; d’après les idées des indigènes, qui ignorent la paternité physiologique , le père est
complètement étranger à la naissance des enfants. Ceux-ci seraient introduits
dans les flancs de la mère sous forme d’esprits très ténus, et cela
généralement par l’intermédiaire de l’esprit d’un parent
maternel décédé . Le rôle du mari consiste à protéger et à choyer
l’enfant, à le recevoir dans ses bras dès qu’il naît, mais cet enfant n’est pas
à lui, en ce sens qu’il n’a joué aucun rôle dans sa procréation [166] . »
Cette croyance archaïque est caractéristique d’une société
que l’on a trop tendance à considérer comme primitive dans le sens péjoratif du
mot. En fait elle n’est primitive que chronologiquement. Elle représente un
stade de civilisation qui n’est pas forcément moins bon que le stade purement
paternaliste qui a été celui de la civilisation romaine, ou le stade hybride
qui est le nôtre. Toujours à propos des mêmes peuples océaniens, en
l’occurrence les Trobriandais, qu’il a observés avec patience et perspicacité,
Bronislaw Malinowski, lequel est fort loin d’être un inconditionnel de Freud,
fait remarquer que, dans une civilisation de type matrilinéaire, il y a moins
de conflits affectifs que dans les sociétés de type patrilinéaire. En effet,
« dans une société matrilinéaire, où le père ne jouit d’aucun
Weitere Kostenlose Bücher