La fête écarlate
procès équitable… Or, cet immonde prélat le fit bouter hors du saint lieu à coups de pied au cul !
Harcourt disait vrai, cela se sentait. Après une interruption volontaire, le Boiteux reprit d’une voix nouvelle, acerbe :
– Pourtant, il connaissait ton père !… Alors, que veux-tu : la vilenie de ce mitré, si contraire à la charité enseignée par le Christ, m’a indigné au point que quelques jours plus tard, avec Raoul de Bigars, Pierre de Préaux, Raoul Patry et quelques autres, nous avons entrepris de le punir en attaquant et désemparant la tour de Glatigny dont il était si fier… Ensuite, j’ai mené l’assaut contre son châtelet de Neuilly, sa demeure préférée (206) !
La voix de Blainville éclata, toute proche :
– Viens, Godefroy !… Que fais-tu ? Le forniques-tu pour lui passer le temps ?
Le Boiteux se pencha hors de la cellule et, rassuré, tourné de nouveau vers Ogier :
– Ce Ganelon est une merde. Même de loin, il pue… Il va falloir que je t’abandonne, mais je tenais à te parler de toutes ces choses, parce qu’en tant que fils de Godefroy et de Luciane, tu as mon amitié… Et vois-tu, c’est parce que Jeannette Bacon ressemblait à ta mère que je la voulais pour épouse…
Ogier gémit et maudit la brève sensation d’angoisse et d’ensevelissement qu’il venait d’éprouver.
– Messire, que s’est-il passé après Glatigny ?
– Le roi a envoyé ses compagnies à Saint-Sauveur. Étant attaqué sans nulle bonne raison, par lui, dans une affaire entre Normands, j’ai décidé de servir Édouard III. Déléguant le commandement à Raoul Patry, je suis parti chez le duc de Brabant, mon cousin, en passant par Gratot.
– Vous avez abandonné vos compagnons à la justice du roi…
La flèche avait jailli ; le Boiteux n’en fut guère affecté :
– Cette justice s’est exercée sur les moins hardis d’entre eux : Jean de la Roche-Tesson, Guillaume Bacon et Richard de Percy… Ils furent accusés de rébellion, sédition et désobéissance, et de vouloir un duc normand en Normandie !
– Ces trois-là en sont morts, messire !
– Crois-tu que c’est gaiement que je suis parti seul ?… Je les avais adjurés de quitter le duché… L’annonce de leur emprisonnement m’a mis l’âme en peine. Ils n’étaient même pas avec moi quand j’ai puni, à ma façon, l’évêque de Bayeux… C’est lorsqu’ils furent sous les verrous qu’on a dit que j’avais comploté pour favoriser la venue des Anglais et devenir, grâce à eux, le nouveau duc de Normandie…
– Vous y pensiez : vous me l’avez avoué vous-même. Mon père m’avait dit – et c’était avant l’Écluse – que les premiers arrangements de cette… trahison avaient eu lieu au cours d’une chasse en forêt de la Lande-Pourrie (207) .
– C’est vrai, mais ton père, par sa fermeté, nous avait contraints à renoncer. À lui seul, il avait désourdi le complot.
Harcourt reprit son souffle. Ogier sentit qu’il atteignait les limites de la confession et de la patience.
– Vois-tu, Argouges, la plupart des mauvaisetés dont on m’a accusé, les tourmenteurs du roi les ont obtenues en martyrisant la Roche-Tesson, Bacon et Percy… Tiens : si on te menaçait de te rompre l’autre jambe, n’avouerais-tu pas n’importe quoi ?
– Je ne sais… Peut-être bien que oui, peut-être bien que non…
– Ah ! tu n’es pas Normand pour rien !… Misère de misère !… Je sais que les têtes de mes trois compagnons, après avoir été exposées sur une roue, au marché de Saint-Lô, sont en montre, maintenant, aux merlons de la Porte Dollée… J’ai grand-hâte de les en décrocher !
Harcourt soupira. Peine sincère. En cet instant, cette figure bourrue, expressive, reflétait le plus terrible désarroi. Ogier considérait avec étonnement cet homme qu’il aurait dû haïr.
– Et vous vous êtes allié, messire, à Blainville qui sans doute est responsable de cette triple mort !
– Blainville ne pouvait rien, ni pour ni contre, car il était dans son fief… Et crois-moi, je me suis assuré que c’était bien vrai… Il y avait eu des Bretons avant ces trois Normands, et là, il se peut qu’il ait fait en sorte qu’ils soient occis pour complaire à la reine Jeanne, cette pute…
– Et le voilà l’allié de Jeanne de Clisson !
– Ils haïssent les Valois autant l’un que l’autre. La fin justifie les
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