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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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moyens…
    Ogier perçut de nouveau la vigueur de cet homme immobile, fermement décidé à prendre sur l’adversité une revanche autrement plus dévastatrice que celle qu’il avait exercée contre un prélat au cœur sec.
    – J’achève, mon gars, en te disant que j’ai été appelé à quatre reprises devant la Cour. Je ne m’y suis pas rendu, jugeant toutes les procédures illégales, en contravention avec la Charte des Normands, et c’est ainsi que le 15 juillet d’il y a deux ans, j’ai été condamné par défaut au bannissement et à la confiscation de mes biens.
    – Et les reste de vos complices ?
    – Ils s’en sont mieux tirés que moi, à ce que j’ai appris (208) … Et sache-le, avant que je te quitte : c’est avec fierté que le 13 juin dernier j’ai reçu d’Édouard les lettres patentes par lesquelles, après avoir reconnu que j’en ai fait mon seigneur lige, il promet de me dédommager de mes terres de Brabant si je les perds, et affirme qu’il me fera restituer celles de Normandie sitôt qu’il l’aura conquise… Or, Ogier, tu sais que cette conquête est imminente… Comment ? Je m’en moque !… Blainville soupçonne Isabelle de t’en avoir averti – oui : elle est avec nous – ; il prétend que c’est par remords et pour t’empêcher de parler – et de la dénoncer – qu’elle voulait te faire occire au tournoi… Cela me paraît gros… Voilà, je t’ai tout dit, et mon âme est moins lourde.
    – C’est façon de parler !
    – Juge-moi comme tu voudras : nous allons, mes compagnons et moi, délivrer notre duché d’un joug oppressif !… Pour notre profit à tous, y compris la famille Argouges… car tu penses bien qu’une fois de retour à Saint-Sauveur, je ferai en sorte que ton père soit rétabli dans ses droits et honneurs !
    – Ce serait le confirmer dans sa soi-disant traîtrise !… D’ailleurs, il refusera une Normandie anglaise ; il refusera votre aide… Toute sollicitude alors l’offensera. Je le connais… Et puis, me semble-t-il, vous oubliez Blainville !
    – J’y ai pensé !… Il me devra obéissance.
    – Il sera plus néfaste encore que maintenant !… Allons, partez, messire. Je conçois que vous vouliez assouvir des vengeances. Vos alliances avec la Montfort et la Clisson, cette gaupe, me laissent aussi froid que les murs de cette caverne… Mais vous êtes accointé à Blainville, la pire ordure de ce royaume dont vous êtes prêt à dépecer la plus belle province parce qu’un jour une femme vous a échappé !
    – Cette femme, Ogier, ressemblait à ta mère… ta mère que je ne pouvais disputer à Godefroy d’Argouges… que d’ailleurs elle aimait tendrement… Affaire de cœur, affaire mineure, penses-tu… Il ne fallut pas plus d’une femme pour que les Grecs assiègent et ruinent Troie… Quant à moi, je reviendrai sur mes terres ; j’y vivrai en paix et, par Dieu, je n’en sortirai plus !
    Cette phrase acheva d’édifier Ogier. Qu’importaient le feu, le sang, les destructions et les douleurs humaines pourvu qu’Harcourt fût de nouveau chez lui d’où peut-être il partirait de loin en loin pour guerroyer contre ses voisins. En même temps qu’il semblait avoir dissipé ses prétentions au duché de Normandie, l’exil lui avait fait prendre conscience de la valeur immatérielle de ses biens. Déraciné, il regrettait uniquement son terroir…
    « J’ai trouvé un côté monstrueux à cet homme – un traître n’est-il pas une espèce de monstre ? – et voilà que je lui découvre une conscience et même une sensibilité ! »
    Une goutte tomba ; Ogier la laissa glisser sur sa joue. Elle s’y confondit à ses larmes.
    Harcourt grogna, remua sa torche : il semblait tout à coup pressé de s’en aller.
    – Je déteste Blainville autant que toi, mon gars, mais suis tenu de le ménager.
    – Je le tuerai, messire.
    Harcourt sourit, sans mépris ni pitié :
    – Regarde-toi ou plutôt essaie de te regarder ! C’est lui qui pourrait t’occire, mais il n’osera…
    Que répondre ? Rien. Comme le Boiteux lui tapotait l’épaule, Ogier demanda :
    – Savez-vous ce que sont devenus mes compagnons ?
    Harcourt agita son flambeau, jeta un coup d’œil en arrière et parut rassuré :
    – Je ne sais qui ils étaient… À Chauvigny, on ploie les pavillons et les tentes, et on enterre les morts ce jour d’hui : il y en eut quelques-uns au tournoi, dont j’ignore les

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