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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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sauras rien. Tout ce que je peux te dire, c’est qu’ils te mèneront à trois lieues d’où nous sommes. Tu seras assigné à résidence jusqu’au dernier jour de juillet. Ensuite, ils te relaxeront… Crois-moi : tu seras bien traité, mais par Dieu, tu seras hors d’état de nuire !
    – Et vous pensez que Blainville acceptera ces dispositions ? Le connaissez-vous donc si peu ?
    – Je t’ai dit qu’il me devait obéissance.
    Ce fut au tour d’Ogier de soupirer. Tout d’abord, l’idée d’être soumis à résidence l’avait empli d’indignation ; il devait convenir maintenant que cette mesure, plutôt que d’ajouter à ses malheurs, serait sans doute un bon moyen de s’évader. L’essentiel, c’était de revenir là-haut, de quitter cette exécrable enceinte. Cependant, il en avait la certitude : avant ce vendredi, la menace dont il se savait entouré prendrait forme et visage.
    – Blainville enverra quelqu’un pour m’occire : Leignes ou un autre…
    Jamais il ne s’était senti aussi seul ; jamais les mots, même les plus rassurants, ne lui avaient semblé si dérisoires. Seul. Le péril de mort, la souffrance de sa jambe et de son oreille n’étaient rien comparés à cette solitude glacée, aux relents de ces murs pustuleux, au poids de cet impénétrable silence… Il se secoua ; la brève commisération qu’il venait d’éprouver envers lui-même fit place à une fureur qu’il parvint à dominer. Entre ses lèvres gercées, le fiel passa malgré tout :
    – Messire, que vous soyez ici me touche et me confond… J’ai déplaisir à vous le dire : jamais je n’aurais pu penser que vous trahiriez, avec le royaume, cette Normandie dont vous avez toujours rêvé d’être le duc… un beau duc qui nous aurait fait tous Anglais !… Pardonnez ce franc-parler que je tiens de mon père : je vous préfère le fils du roi, même chargé de tous les vices de la terre !
    Quelque habitude qu’il pût avoir des réactions humaines, celle d’Harcourt lui parut incongrue : le Boiteux ne s’indignait pas ; il riait par-delà les flammes de sa torche :
    – Je comprends que tu te regimbes. J’en ferais autant à ta place… Tu parles de la Normandie comme si les Argouges y avaient précédé les Harcourt… Or, nos racines sont plus profondes que les vôtres. Je suis un descendant de Bernard le Danois, venu en Normandie avec Rolf le Marcheur (200) , mais pour éviter d’être accusé de présomption, je me garde d’insister. Sache tout de même que nous sommes apparentés.
    – Oh !
    – Oui, puisque Robert, le premier du nom, épousa peu après l’an mille Colette d’Argouges, ton aïeule.
    Jouissant de sa révélation, Harcourt poursuivit :
    – Ton père te le confirmerait ! Nous sommes une famille forte, alliée non seulement à la tienne, mais aux Montfort et autres puissants… Vois-tu, Ogier, il y a seize ans que j’ai hérité Saint-Sauveur, où tu es venu avec les tiens, après que mon aîné, Louis, en eut été cinq ans titulaire. J’y suis aussi attaché que toi à Gratot… Et c’est pourquoi il y a dix ans, à l’Échiquier de la Saint-Michel, j’étais auprès de ton père pour défendre nos franchises (201) menacées par le roi et son fils. C’est pourquoi, cette même année, nous nous retrouvâmes ensemble, avec mon frère Jean, à l’assemblée de Vernon convoquée par Philippe de Valois. C’est pourquoi ensemble nous avons demandé au roi de maintenir nos privilèges comme jadis le firent Saint Louis et Philippe le Bel.
    – Je sais cela, messire. J’étais jeunet mais attentif à tout ce que disait mon père.
    – Tu sais donc que le roi tint de mauvais gré ses promesses de Vernon, bien que par ordonnance de mars 1339, il eût déclaré qu’il œuvrerait au bonheur des Normands… Il ne pouvait faire autrement, après le traité conclu par ton père, à Vincennes, à la fin du même mois, et par lequel nous nous engagions à conquérir l’Angleterre (202) … Ce traité, j’y ai apposé mon sceau juste après celui de Godefroy d’Argouges.
    – Oui, messire. Mais alors, Blainville s’est montré. La conquête fut différée à sa demande. Il y eut, à sa place, la défaite de l’Écluse, voulue par ce malandrin… Défaite à laquelle j’ai assisté. Pas vous !
    – C’est vrai, mais…
    – Mon père, coupa Ogier soucieux d’affermir son avantage, vous soupçonnait déjà d’être favorable aux Anglais !
    Harcourt

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