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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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monterons dedans au besoin par la force.
    Longtemps, douloureusement, ils descendirent, jurant, geignant, s’encourageant.
    L’eau de l’Anglin leur parut tiède. Ogier devina qu’il pourrait s’y mouvoir aisément :
    – Venez, Calveley. Je vais vous soutenir. Vous flotterez, j’en jure Dieu. Mais avant, il me faut abandonner ça…
    Il jeta le manteau de Raoul de Leignes, attrapa l’Anglais par la hanche et l’engagea à avancer. Bientôt, ils progressèrent à l’ombre de la rive.
    Ils atteignaient la berge d’en face lorsqu’un hululement et des cris les prévinrent que leur évasion venait d’être découverte.
    – J’imagine, dit Ogier, la tête et la fureur de mes bourreaux… Fiez-vous à moi, Hugues. Cette eau me revigore… Allons, courage ! Faites aller votre bras comme chacun des miens… Holà ! pourquoi riez-vous ? Croyez-vous que ce soit le moment ?
    – Je ris, dit Calveley dans un clapotement d’eau mal brassée, parce que j’essaie d’imaginer la tête que feraient nos souverains, Édouard et Philippe, s’ils nous voyaient liant nos efforts de cette façon-là !… Jamais je ne pourrai vous affronter l’épée en main, Ogier… Non, jamais !… Et vous ?
    – Jamais… Mais, le bassinet clos, peut-on se reconnaître ?
    – Il faudra bien que nous trouvions un moyen !
    – Oui, approuva Ogier en nageant plus fermement, il faudra bien !

II
    Ogier entendit un froissement de branches. Aussitôt, sa lame dressée, il guetta. – Est-ce vous ? chuchota-t-il. Le silence revint, immobile et feutré. Plutôt que Calveley, c’était sans doute un faon de cerf ou de chevreuil. Ils en avaient aperçu quelques-uns au cours de cette interminable journée.
    « Qu’il se hâte !… Depuis hier soir, je ne cesse de m’affaiblir… La nuit tombe ! »
    Alors qu’ils nageaient avec de plus en plus de peine, ils avaient découvert, au ras de l’eau, une cavité produite par l’effondrement d’un arbre. À l’abri des racines extirpées du limon, ils avaient repris haleine ; ensuite, pataugeant sur la berge, l’Anglais s’était mis à la recherche d’un refuge. Il était revenu mécontent, n’ayant trouvé qu’un buisson bien fourni sous une feuillée clairsemée. À coups de poignard, patiemment, il avait élargi le cœur de cette bauge. Ils y avaient passé la nuit, et Calveley avait dû attendre qu’il fît bien clair pour mettre à nu et soigner cette fracture dont Ogier, dans la solitude où il s’exaspérait, dut s’avouer qu’elle l’avait effrayé et l’effrayait encore. Au milieu des chairs noires, gonflées, croûteuses de crasse et de sang, émergeait quelque chose de blanc : l’os. Après avoir lavé la plaie, nettoyé les bandes de tissu, coupé des branches et obtenu des éclisses à la mesure du membre rompu, l’Anglais s’était mis à façonner des béquilles dont il avait fixé les traverses à la hampe au moyen de courroies découpées dans la ceinture de Leignes.
    « Sans lui, je serais de nouveau à la merci de ces maufaiteurs… Mais que fait-il ? Il devrait être de retour… S’est-il fait prendre ?… Il ne peut m’abandonner ! »
    À maintes reprises, au cours de la matinée, des galops et des aboiements avaient troublé leur quiétude, et par deux fois une barque contenant des archers avait glissé sur la rivière. Puis plus rien. Ils avaient dévoré quelques poignées de cresson et passé le temps à regarder les poissons ouvrir des ronds dans l’eau molle : signe de pluie. Et peu à peu, le ciel s’était couvert. L’averse, commencée au coucher du soleil, ne cessait de croître en force et froidure.
    Ogier commençait à désespérer lorsqu’une toux vivement réprimée domina le tendre crépitement des gouttes. « C’est lui  ! » Aucun doute : on foulait des herbes et dérangeait des branchettes ; on trébuchait même. Une ombre immense bougea, chuchota : « Ogier ? » C’était Calveley, les yeux étincelants, une feuille de lierre à la bouche :
    – On est bien, ici. Là-haut, le vent souffle et la pluie cingle, vous verrez !
    – Que savez-vous ? Avez-vous vu quelqu’un ?
    – Un huron m’a dit où passe le chemin de Saint-Pierre-de-Maillé. De là, on peut aller à Chauvigny. Ce chemin est à une demi-lieue d’où nous sommes.
    – L’homme n’a-t-il pas paru ébahi de vous voir ?
    – Oh ! si. C’est pourquoi il faut nous escamper. Laissez-moi vous remettre debout. Je vais

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